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La Règle
de saint Benoît

Prologue

Écoute, ô mon fils, les préceptes du MaîtrePr 1, 8, et prête l’oreille de ton cœurPr 4, 20. Reçois volontiers l’enseignementlit. admonition : voisin de l’hébreux moussar, terme de la sagesse biblique qui signifie à la fois exhortation, éducation et correction d’un père plein de tendresse et mets-le en pratique, afin que le labeur de l’obéissance te ramène à celui dont t’avait éloigné la lâcheté de la désobéissance. À toi donc s’adresse maintenant ma parole, qui que tu sois, qui renonces à tes propres volontés, et pour combattre sous le vrai Roi, le Seigneur Christ, prends en main les puissantes et glorieuses armes de l’obéissance.

D’abord, en tout bien que tu entreprennes, demande-lui par une très instante prière qu’il le mène à bonne fin. Ainsi, lui qui a daigné nous compter parmi ses fils n’aura pas un jour à s’attrister de nos mauvaises actions. Il nous faut, en effet, lui obéir en tout temps, à l’aide des biens qu’il a mis en nous, afin que non seulement, en père offensé, celui-ci n’ait pas à déshériter un jour ses enfants, mais encore qu’en maître redoutable, irrité par nos méfaits, il n’ait pas à nous livrer à la peine éternelle, comme de très mauvais serviteurs qui n’auraient pas voulu le suivre jusqu’à la gloire.

Levons-nous donc enfin à cette exhortation de l’Écriture qui nous dit : L’heure est venue de sortir de votre sommeil.Rm 13, 11 Les yeux ouverts à la lumière divine et les oreilles attentives, écoutons l’avertissement que nous adresse chaque jour cette voix de Dieu qui nous crie : Aujourd’hui, si vous entendez sa voix, n’endurcissez vos cœurs !Ps 94, 8 ; et encore : Qui a des oreilles entende ce que l’Esprit dit aux Églises !Ap 2, 7 Et que dit-il ? Venez, mes fils, écoutez-moi : je vous enseignerai la crainte du SeigneurPs 33, 12. Courez, tant que vous avez la lumière de la vie, de peur que les ténèbres de la mort ne vous saisissent !Jn 12, 35

Et le Seigneur, cherchant son ouvrier dans la multitude du peuple auquel il crie, dit encore : Quel est l’homme qui veut la vie et désire voir des jours heureux ?Ps 33, 13 Que si, à cette parole, tu réponds : C’est moi !, Dieu te dit alors : Si tu veux avoir la vie véritable et éternelle, garde ta langue du mal et tes lèvres des paroles trompeuses ; détourne-toi du mal et agis bien ; cherche la paix et poursuis-laPs 33, 14-15. Et lorsque vous aurez fait ces choses, mes yeux seront sur vous et mes oreilles attentives à vos prièresPs 33, 16, et avant même que vous m’invoquiez, je dirai : Me voici.Is 58, 9 Quoi de plus doux pour nous, mes très chers frères, que cette voix du Seigneur qui nous invite ? Voici que, dans sa bonté, le Seigneur nous montre le chemin de la vie.

Nos reins ceints de la foi et de l’observance des bonnes œuvresIs 11, 5Ep 6, 14, sous la conduite de l’Évangile, marchons donc dans ses sentiers, afin de mériter de voir celui qui nous a appelés à son règne. Si nous voulons habiter sa demeure, il nous faut y courir par les bonnes œuvres, sans lesquelles on n’y parvient pas.

Interrogeons toutefois le Seigneur avec le Prophète, en lui disant : Seigneur, qui habitera dans ta demeure ? Qui reposera sur ta montagne sainte ?Ps 14, 1 Après cette demande, mes frères, écoutons le Seigneur qui répond et nous indique la voie qui conduit à cette demeure, en disant : C’est celui qui marche sans tache et pratique la justice ; celui qui dit la vérité du fond de son cœur, qui n’a pas usé sa langue à la tromperie, qui n’a pas fait de mal à son prochain, ni accueilli des discours injurieux contre lui.Ps 14, 2-3 C’est celui qui repousse le malin conseil du diable et ses suggestions loin des regards de son cœur, les réduit à rien, saisit les premiers rejetons de la pensée diabolique et les brise contre le Christ.

Ce sont ceux qui, craignant le Seigneur, ne s’exaltent pas de leur bonne observance, et persuadés que ce qu’ils ont de bien ne vient pas d’eux-mêmes mais du Seigneur, glorifient son œuvre en eux et disent avec le Prophète : Non pas à nous Seigneur, non pas à nous, mais à ton nom donne la gloire.Ps 113, 1 De même aussi, l’Apôtre Paul ne s’est rien attribué à lui-même du succès de sa prédication, mais a dit : C’est par la grâce de Dieu que je suis ce que je suis1 Co 15, 10 ; et encore : Que celui qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur.2 Co 10, 17

De même, le Seigneur dit dans l’Évangile : Celui qui écoute mes paroles que voici et les met en pratique, je le comparerai à l’homme sage qui a bâti sa maison sur le roc. Les fleuves ont débordé, les vents ont soufflé et se sont déchaînés contre cette maison ; et elle n’est pas tombée, parce qu’elle était fondée sur le roc.Mt 7, 24-25

Finalement, le Seigneur attend de jour en jour que nous répondions par des actes à ses saints avertissements. C’est pour l’amendement de nos fautes que les jours de cette vie nous sont prolongés comme une trêve, selon la parole de l’Apôtre : Ignores-tu que la patience de Dieu t’entraîne à la pénitence ?Rm 2, 4 Car le Seigneur miséricordieux le déclare : Je ne veux pas la mort du pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive.Ez 33, 11

Mes frères, lorsque nous avons interrogé le Seigneur sur celui qui habitera dans sa demeure, nous avons entendu ce qu’il faut faire pour y habiter. Puissions-nous donc accomplir ce qui est exigé de cet habitant !

Par conséquent, il nous faut préparer nos cœurs et nos corps à combattre sous la sainte obéissance à ses commandements. Quant à ce qui en nous paraîtrait impossible à notre nature, prions le Seigneur qu’il veuille nous prêter le secours de sa grâce. Et si pour échapper aux peines de l’enfer nous voulons parvenir à la vie éternelle, tandis qu’il en est encore temps, que nous sommes en ce corps et que nous pouvons, à la lumière de cette vie, accomplir toutes ces choses, alors il nous faut courir et agir dès maintenant au profit de l’éternité.

Nous allons donc constituer une école où l’on apprenne le service du Seigneur. Dans cette institution, nous espérons ne rien établir de rude ni de trop pénible. Si pourtant, guidé par un motif d’équité, nous allons jusqu’à imposer un peu de rigueur, pour corriger les vices et conserver la charité, garde-toi de fuir aussitôt — pris de terreur — la voie du salut, dont l’entrée, au début, est nécessairement étroite.

En effet, à mesure que l’on avance dans la vie religieuse et dans la foi, le cœur se dilate et l’on se met à courir dans la voie des commandements de Dieu avec une ineffable douceur d’amour. Ainsi donc, ne nous écartant jamais de son enseignement, et persévérant en sa doctrine dans le monastère jusqu’à la mort, participons par la patience aux souffrances du Christ, afin de mériter d’avoir part également à son règne. Amen.

1. Les diverses espèces de moines

Il est manifeste qu’il y a quatre espèces de moines. La première est celle des Cénobites, c’est-à-dire de ceux qui vivent dans un monastère, et combattent sous une Règle et un Abbé.

La deuxième espèce est celle des Anachorètes ou Ermites. Ceux-ci n’en sont plus, dans la vie religieuse, à la ferveur du début : l’épreuve prolongée du monastère, jointe aux leçons et au soutien d’un grand nombre, leur a appris à lutter contre le diable. Bien exercés, ils sortent des rangs de leurs frères pour se livrer au combat singulier du désert, et assurés de pouvoir désormais se passer de l’assistance d’autrui, ils sont en état, avec l’aide de Dieu, de soutenir par leur seule main et leur seul bras la lutte contre les vices de la chair et des pensées.

La troisième espèce de moines, vraiment détestable, est celle des Sarabaïtesle mot est emprunté à Jean Cassien, qui l’aura trouvé en usage chez les moines d’Égypte, en partant de sa probable racine copte sarakôte : errant ou vagabond. Ils ne sont astreints à aucune règle, l’expérience seule est leur maîtresse, mais au lieu d’en être purifiés comme l’or dans la fournaise, ils en sont plutôt amollis comme le plomb. Ils témoignent par leurs œuvres de leur foi mondaine et mentent à Dieu par leur tonsureau 6e siècle, celle-ci consistait à porter les cheveux courts, ni rasés comme ceux des prêtres égyptiens, ni trop longs comme chez les barbares. On les voit se renfermer sans pasteur deux ou trois ensemble, ou même seuls, dans leur propre bergerie et non dans celle du Seigneur. Ils n’ont d’autre loi que la satisfaction de leurs désirs ; tout ce qu’ils pensent ou préfèrent, ils le tiennent pour saint, et ce dont ils ne veulent pas, ils le regardent comme illicite.

La quatrième espèce de moines est celle des Gyrovagues. Ils passent toute leur vie à courir de pays en pays, restant trois ou quatre jours comme hôtes dans les demeures des uns et des autres ; sans cesse errants, jamais stables, esclaves de leurs passions et des plaisirs de la bouche, enfin, pires en tout que les Sarabaïtes.

Leur manière de vivre à tous est des plus misérables, mieux vaut se taire que d’en parler. Laissons-les donc et occupons-nous, avec l’aide du Seigneur, à régler ce qui concerne la plus forte espèce de moines, celle des Cénobites.

2. Les qualités que doit avoir l’Abbé

L’Abbé jugé digne d’être à la tête d’un monastère doit se rappeler sans cesse comment on l’appelle, et porter par ses actes le nom de supérieur.

En effet, il est considéré comme tenant dans le monastère la place du Christ, puisqu’il est appelé d’un nom employé pour désigner le Seigneur, selon ces paroles de l’Apôtre : Vous avez reçu un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs ; et c’est en lui que nous crions : Abba !, c’est-à-dire Père.Rm 8, 15Ga 4, 6

C’est pourquoi l’Abbé ne doit rien enseigner, rien établir ou commander qui ne soit conforme aux préceptes du Seigneur ; mais ses ordres et son enseignement doivent se répandre dans les esprits de ses disciples comme un levain de justice divine.

L’Abbé doit se souvenir constamment qu’au redoutable jugement de Dieu il devra rendre compte de ces deux points : son enseignement et l’obéissance de ses disciples. Et qu’il sache bien qu’il sera imputé au pasteur, comme faute, tout ce que le Père de famille pourra trouver de mécompte dans ses brebis. Dans le cas où il s’agirait d’un troupeau turbulent et indocile, du moment qu’il lui aura consacré toute sa sollicitude de pasteur, s’appliquant à guérir leurs maladies spirituelles ; alors — mais alors seulement — il sera absous au jugement du Seigneur et pourra lui dire avec le prophète : Je n’ai pas caché ta justice dans mon cœur, j’ai annoncé ta vérité et ton salutPs 39, 11 ; mais ils n’en ont fait aucun cas et ils m’ont méprisé.Is 1, 2Ez 20, 17 Et alors les brebis qui ont résisté à ses soins auront pour punition la mort même, qui aura finalement raison d’elles.

Lorsque quelqu’un accepte le nom d’Abbé, il doit conduire ses disciples par un double enseignement : montrer tout ce qui est bon et saint par ses actes plus encore que par ses paroles. Ainsi, à ses disciples capables de le comprendre, il enseignera en paroles les commandements du Seigneur, et à ceux qui ont le cœur dur et aux simples, il fera connaître par ses actes les préceptes divins. Tout ce qu’il aura dénoncé à ses disciples comme illicite, il devra leur faire voir par sa conduite qu’il ne faut pas le faire de peur qu’après avoir prêché aux autres, il ne soit lui-même réprouvé1 Co 9, 27, et que Dieu ne lui dise un jour à cause de ses péchés : Pourquoi proclames-tu mes lois et déclares-tu mon alliance par ta bouche, toi qui haïssais la discipline et qui rejetais derrière toi mes paroles ?Ps 49, 16-17 ; et encore : Toi qui voyais la paille dans l’œil de ton frère, tu n’as pas vu la poutre dans le tien.Mt 7, 3

Que l’Abbé ne fasse de distinction en faveur de personne dans le monastère. Que l’un ne soit pas plus aimé que l’autre, si ce n’est celui qu’il aura trouvé meilleur dans les bonnes œuvres et l’obéissance. Que l’homme libre ne soit pas préféré à celui qui sera venu de l’esclavage, à moins qu’il n’y ait à cela un autre motif raisonnable. Que si, pour un juste motif, il semble à l’Abbé qu’il doive faire cette distinction, qu’il en use ainsi à l’égard de chacun, sans considérer le rang social : sinon, que chacun garde sa place. Car tous, l’esclave comme l’homme libre, nous sommes un dans le ChristGa 3, 28Ep 6, 8, et nous livrons le même combat au service d’un seul Seigneur. En effet, auprès de Dieu il n’y a de partialité envers personne.Rm 2, 11Col 3, 25 La seule chose qui nous distingue à ses yeux, c’est le fait d’être préférables aux autres dans les bonnes œuvres et dans l’humilité. Que l’Abbé ait donc une égale charité pour tous ; qu’il n’y ait pour tous qu’une même discipline, appliquée selon les mérites de chacun.

Dans sa manière d’enseigner, l’Abbé doit toujours observer la forme donnée par l’Apôtre en ces termes : Reprends, supplie, menace2 Tm 4, 2, c’est-à-dire qu’il doit varier sa manière d’agir selon les moments et les circonstances, joignant les douceurs aux menaces, montrant tantôt la sévérité d’un maître, et tantôt la tendresse d’un père. Ainsi, il lui faudra reprendre plus durement ceux qui sont indisciplinés et turbulents, tandis qu’il lui suffira d’exhorter à faire de nouveaux progrès ceux qui sont obéissants, doux et patients. Quant à ceux qui sont négligents ou dédaigneux, nous l’avertissons de les réprimander et de les corriger.

Qu’il ne ferme pas les yeux sur les fautes des délinquants ; mais qu’il s’applique, autant qu’il le pourra, à les retrancher jusqu’à la racine, dès qu’elles commencent à paraître, se souvenant du danger auquel s’exposa Héli, le grand-prêtre de Silocelui-ci avait négligé de corriger ses deux fils débauchés, et mourut de chagrin en apprenant leur mort brutale et la capture de l’Arche par les Philistins1 S 2, 12-17.22-251 S 4, 1.12-18. Ceux qui ont l’âme plus délicate et qui savent comprendre les choses, il suffira qu’il les reprenne par des paroles au moyen d’un ou deux avertissements ; mais ceux qui sont mauvais et durs de cœur, arrogants et désobéissants, il les réprimera par des coups de bâton et autres punitions corporelles, dès qu’ils commencent à mal faire, sachant qu’il est écrit : L’insensé ne se corrige pas par des parolesPr 29, 19 ; et encore : Frappe du bâton ton fils , et tu délivreras son âme de la mort.Pr 23, 14

L’Abbé doit sans cesse se souvenir de ce qu’il est, se souvenir du nom qu’il porte, et savoir qu’il est plus exigé de celui à qui il est confié davantage. Qu’il sache aussi combien est difficile et ardue la charge qu’il a reçue de conduire les âmes, et de s’accommoder aux exigences de tels caractères : pour un des douceurs, pour un autre des réprimandes, pour un autre encore de la persuasion. Il doit donc se conformer et s’adapter à tous selon les dispositions et l’intelligence de chacun, afin que non seulement il préserve de tout dommage le troupeau qui lui est confié, mais qu’il se réjouisse de l’accroissement de son bon troupeau.

Avant tout, qu’il se garde de négliger ou de compter pour peu de chose le salut des âmes qui lui sont confiées, sans donner plus de soins aux choses passagères, terrestres et dépassées. Qu’il considère toujours que ce sont des âmes qu’il a reçues à conduire et dont il devra rendre compte. Qu’il ne prétexte pas l’insuffisance des ressources du monastère, se souvenant qu’il est écrit : Cherchez d’abord le règne de Dieu et sa justice, et le reste vous sera donné par surcroîtMt 6, 33 ; et encore : Rien ne manque à ceux qui le craignent.Ps 33, 10

Qu’il sache donc bien que celui qui a reçu des âmes à conduire doit se préparer à en rendre compte. Quel que soit le nombre des frères confiés à ses soins, qu’il tienne pour certain qu’au jour du jugement il aura à répondre au Seigneur de leurs âmes à tous, en plus, sans nul doute, de la sienne propre. Ainsi, continuellement dans la crainte de l’examen qui attend le pasteur au sujet de ses brebis, ce compte qu’il doit rendre d’autrui le rendra attentif au sien, et en corrigeant autrui par ses instructions, il se corrigera lui-même de ses propres défauts.

3. L’appel des frères en conseil

Toutes les fois qu’il y aura dans le monastère des affaires importantes à traiter, l’Abbé convoquera toute la communauté, puis il exposera lui-même ce dont il s’agit. Après qu’il aura entendu l’avis des frères, il examinera la chose en privé et fera ensuite ce qu’il aura jugé le plus utile. Si nous avons dit que tous doivent être appelés au conseil, c’est que souvent le Seigneur révèle à un plus jeune ce qu’il y a de mieux à faire.

Les frères donneront leur avis en toute humilité et soumission. Ainsi, ils n’auront pas la présomption de soutenir avec arrogance leur manière de voir ; il dépendra de l’Abbé de décider selon ce qu’il jugera meilleur, et tous se soumettront à sa décision. Mais de même qu’il convient aux disciples d’obéir au maître, il faut aussi que le maître dispose tout avec prévoyance et équité.

Que tous suivent donc en tout cette maîtresse qu’est la Règle, et que personne n’ait la témérité de s’en écarter. Que nul dans le monastère ne suive la volonté de son propre cœur ; que personne non plus n’ait la présomption de contester son Abbé effrontément ou hors du monastère. Si quelqu’un ose se le permettre, qu’il soit soumis à la discipline régulière.

Néanmoins, l’Abbé doit faire toutes choses dans la crainte de Dieu et conformément à la Règle, sachant que, sans aucun doute, il devra rendre compte de toutes ses décisions à Dieu, ce juge souverainement équitable.

Quant aux affaires moins importantes, d’usage dans le monastère, l’Abbé prendra conseil des anciens seulement, selon qu’il est écrit : Fais tout avec conseil, et après l’avoir fait, tu n’auras pas de regret.Si 32, 24

4. Les instruments des bonnes œuvres

Avant tout, aimer le Seigneur Dieu de tout son cœur, de toute son âme et de toute sa forceDt 6, 5Mt 22, 37Mc 12, 30 ; ensuite le prochain comme soi-mêmeMt 22, 39Mc 12, 31Lc 10, 27.

Ensuite ne pas tuerEx 20, 13Dt 5, 17Lc 18, 20, ni commettre d’adultèreEx 20, 14Dt 5, 18Mt 5, 27-32, ni volerEx 20, 15Dt 5, 19, ni convoiterEx 20, 17Dt 5, 21Rm 13, 9, ni porter de faux témoignageEx 20, 16Dt 5, 20Mt 19, 18-19Mc 10, 19Lc 18, 20.

Honorer tous les hommes1 P 2, 17, et ne pas faire à autrui ce qu’on ne ne veut pas qu’on nous fasseTb 4, 15Mt 7, 12.

Renoncer à soi-même pour suivre le ChristMt 16, 24Lc 9, 23.

Réprimer son corps1 Co 9, 27 ; ne pas aspirer aux délices2 P 2, 13, mais aimer le jeûneJl 1, 14Jl 2, 12.15.

Soulager les pauvresTb 4, 7, vêtir celui qui est nuIs 58, 7, visiter les maladesMt 25, 36, ensevelir les mortsTb 1, 17Tb 2, 4, secourir ceux qui sont dans l’épreuveIs 1, 17 et consoler les affligésIs 40, 1Is 61, 22 Co 1, 41 Th 5, 14.

Se rendre étranger aux préoccupations du mondeJc 1, 27 et ne rien préférer à l’amour du ChristMt 10, 37-39.

Ne pas satisfaire sa colèreMt 5, 22, ni se réserver un temps pour exercer sa vengeanceEp 4, 26.

Ne pas entretenir de fausseté dans son cœurPs 14, 2, ni donner une fausse paixPs 27, 3Rm 12, 9.

Ne pas abandonner la charité1 Co 13, 81 P 4, 8.

Ne pas jurer, de crainte de se parjurerMt 5, 33-37, et dire la vérité du cœur comme des lèvresPs 14, 2.

Ne pas rendre le mal pour le mal1 Th 5, 151 P 3, 9.

Ne faire d’injustice à personne, mais supporter patiemment celle qu’on nous fait1 Co 6, 7.

Aimer ses ennemisMt 5, 44Lc 6, 35.

Ne pas répondre par la malédiction à ceux qui nous maudissent, mais plutôt les bénirLc 6, 281 Co 4, 121 P 3, 9.

Soutenir la persécution pour la justiceMt 5, 101 P 3, 14.

Ne pas être orgueilleux, ni adonné au vinTt 1, 71 Tm 3, 3, ni gourmandSi 37, 29, ni somnolentPr 20, 13, ni paresseuxRm 12, 11, ni prompt au murmure1 Co 10, 10 ou médisantSg 1, 11.

Mettre en Dieu son espérancePs 72, 28Ps 77, 7.

Ce que l’on verra de bon en soi, le rapporter à Dieu et non à soi-même1 Co 4, 7. Quant au mal, comprendre toujours qu’on l’a fait soi-même et le mettre à son compte.

Craindre le jour du jugementJb 31, 14 ; redouter l’enferMt 10, 28 et désirer la vie éternelle de toute l’ardeur de son espritPh 1, 23.

Avoir tous les jours la mort présente devant les yeuxMt 24, 42 ; veiller à toute heure sur les actions de sa vieDt 4, 9 et tenir pour certain qu’en tout lieu Dieu nous regardePs 13, 2Pr 5, 21.

Briser contre le Christ les pensées mauvaises, aussitôt qu’elles se présentent au cœurPs 136, 9, et s’en ouvrir à un ancien doté d’espritSi 8, 11.

Garder sa langue de tout propos mauvais ou nuisiblePs 33, 14 ; ne pas aimer à beaucoup parlerPr 10, 19, ne pas dire de paroles vaines ou qui ne portent qu’à rireMt 12, 36, et ne pas aimer le rire trop fréquent ou trop bruyantSi 21, 20.

Entendre volontiers les lectures saintesLc 11, 28.

S’appliquer fréquemment à la prièreCol 4, 2 ; y confesser chaque jour à Dieu, avec larmes et gémissements, ses fautes passéesPs 6, 7, et à l’avenir se corriger de ces fautes.

Ne pas satisfaire les désirs de la chairGa 5, 16 et haïr la volonté propreSi 18, 30.

Obéir en tout aux ordres de l’Abbé, même si — pourvu que non ! — il agirait autrement, nous rappelant ce précepte du Seigneur : Ce qu’ils disent, faites-le ; mais ce qu’ils font, ne le faites pas.Mt 23, 3

Ne pas vouloir être appelé saint avant de l’être, mais l’être d’abord, afin qu’on le dise avec plus de véritéMt 6, 1.

Accomplir chaque jour par ses œuvres les préceptes de DieuSi 6, 37.

Aimer la chasteté1 Tm 5, 22.

Ne haïr personneLv 19, 17, ne pas avoir de jalousieJc 3, 14-16, ne pas agir par envieGa 5, 26, ne pas aimer à contester2 Tm 2, 14.24 et fuir l’exaltation du cœurPs 130, 1Pr 16, 5.

Vénérer les anciensLv 19, 32 et aimer les plus jeunes1 Tm 5, 1.

Prier pour ses ennemis dans l’amour du ChristMt 5, 44.

Rétablir la paix avant le coucher du soleil avec celui dont nous sépare la discordeEp 4, 26, et ne jamais désespérer de la miséricorde de DieuPs 51, 10.

Voilà quels sont les instruments de l’art spirituel. Si nous en faisons un usage constant, le jour et la nuit, alors quand au jour du jugement nous les remettrons, notre récompense sera celle que le Seigneur a promis : Ce que l’œil n’a pas vu, ni l’oreille n’a entendu, ce que Dieu a préparé pour ceux qui l’aiment.1 Co 2, 9

Or, l’atelier où nous devons travailler diligemment à l’aide de ces instruments, c’est l’enceinte du monastère avec la stabilité dans la communauté.

5. L’obéissance

Le premier degré d’humilité est l’obéissance sans délai. Elle convient à ceux qui n’ont rien de plus cher que le Christ. Mus par le service sacré dont ils ont fait profession, par la crainte de l’enfer et par le désir de la gloire de la vie éternelle, dès que le supérieur a commandé quelque chose, comme si Dieu lui-même en avait donné l’ordre, ils ne peuvent souffrir de délai dans l’exécution. C’est d’eux que le Seigneur a dit : Dès que son oreille a entendu, il m’a obéi.Ps 17, 45 Et il dit de même à ceux qui enseignent : Qui vous écoute m’écoute.Lc 10, 16

Ceux donc qui vont ainsi, abandonnant aussitôt leur intérêt et renonçant à leur volonté propre, quittent ce qu’ils avaient en mains et laissent inachevé ce qu’ils faisaient. Ils suivent d’un pied si prompt la voix du commandement que, dans l’empressement qu’inspire la crainte de Dieu, il n’y a pas d’intervalle entre l’ordre du supérieur et l’action du disciple, les deux s’accomplissant au même moment. Ainsi agissent ceux qui aspirent ardemment à la vie éternelle.

C’est pour cela qu’ils prennent la voie étroite de laquelle le Seigneur a dit : Étroite est la voie qui conduit à la vieMt 7, 14. Aussi, ne vivant plus à leur gré et n’obéissant plus à leurs désirs ni à leurs satisfactions, ils marchent d’après le jugement et le commandement d’autrui, et désirent, en se retirant au monastère, se soumettre à un Abbé. Sans nul doute, de tels hommes imitent le Seigneur, quand il dit cette sentence: Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé.Jn 6, 38

Mais cette obéissance ne sera agréable à Dieu et douce aux hommes que si ce qui est commandé est exécuté sans trouble, sans retard, sans tiédeur, sans murmure ni aucune parole de résistance. Car l’obéissance qu’on rend aux supérieurs se rapporte à Dieu lui-même ; puisqu’il a dit : Qui vous écoute m’écoute.Lc 10, 16 Et il faut que les disciples obéissent de bon cœur, car Dieu aime celui qui donne joyeusement.2 Co 9, 7

Si, au contraire, le disciple obéit de mauvais gré, s’il murmure non seulement des lèvres mais encore dans son cœur, quand bien même il exécuterait l’ordre reçu, son acte ne sera pas agréé de Dieu, qui voit dans son cœur le murmure. Bien loin d’en obtenir une grâce, il encourra la punition de qui murmure, à moins qu’il ne répare sa faute et ne donne satisfaction.

6. Le silence

Faisons ce que dit le Prophète : J’ai dit : j’observerai mes voies, afin de ne pas pécher par ma langue. J’ai placé une garde à ma bouche : je suis devenu muet, je me suis tu et humilié, même s’il s’agissait de parler de choses bonnes.Ps 38, 2-3 Le Prophète nous montre là que s’il faut parfois s’abstenir de bons discours pour la pratique du silence, à combien plus forte raison la peine qui suit le péché doit-elle nous faire éviter les paroles mauvaises.

On ne devra donc, en raison de l’importance du silence, n’accorder que rarement aux disciples — fussent-ils parfaits — la permission de parler, même à propos de choses bonnes, saintes et édifiantes. Car il est écrit : En parlant beaucoup, tu ne saurais éviter le péchéPr 10, 19 ; et ailleurs : La mort et la vie sont au pouvoir de la langue.Pr 18, 21 C’est au Maître, en effet, qu’il convient de parler et d’instruire ; le rôle du disciple est de se taire et d’écouter.

C’est pourquoi, si l’on a quelque chose à demander au supérieur, on le fera avec toute l’humilité et la soumission qu’inspire le respect. Quant aux bouffonneries, aux paroles vaines et qui ne sont bonnes qu’à provoquer le rire, nous les condamnons à tout jamais et en tout lieu, et nous ne permettons pas au disciple d’ouvrir la bouche pour de tels propos.

7. L’humilité

La divine Écriture, mes frères, nous crie : Quiconque s’élève sera humilié, et qui s’humilie sera exalté !Mt 23, 12Lc 14, 11Lc 18, 14 En parlant ainsi, elle nous montre que tout élèvement est une espèce d’orgueil, contre quoi le Prophète indique qu’il se garde, lorsqu’il dit : Seigneur, mon cœur ne s’est pas exalté, mes yeux non plus ne se sont pas portés trop haut ; je n’ai pas poursuivi les grandeurs, ni recherché des merveilles au-dessus de moi.Ps 130, 1 Mais quoi alors ? Si je n’ai pas eu d’humbles sentiments, si j’ai permis à mon âme de s’élever, tu me traiteras comme l’enfant qu’on arrache du sein de sa mère.Ps 130, 2

Si donc, mes frères, nous voulons atteindre le sommet de la plus haute humilité, et parvenir promptement à cette élévation céleste ou l’on monte par l’humilité de la vie présente, il nous faut, par les degrés ascendants de nos œuvres, dresser cette échelle qui apparut en songe à Jacob, et par laquelle il voyait des anges descendre et monter. Cette descente et cette montée ne signifient pas pour nous autre chose — sans aucun doute — sinon que l’on descend par l’élèvement et que l’on monte par l’humilité. Cette échelle ainsi dressée, c’est notre vie en ce monde, que le Seigneur élève jusqu’au ciel, si notre cœur s’humilie. Les côtés de cette échelle sont, selon nous, notre corps et notre âme ; sur ces montants, la vocation divine a inséré divers échelons d’humilité et de progrès spirituel qu’il nous faut gravir.

Donc, le premier degré d’humilité est de se mettre constamment devant les yeux la crainte de Dieu, de se garder entièrement de l’oubli et de se souvenir sans cesse de tout ce que Dieu a commandé. On repassera toujours dans son esprit, d’une part, l’enfer où brûlent, pour leurs péchés, ceux qui méprisent Dieu, et d’autre part, la vie éternelle préparée à ceux qui le craignent. Ainsi, on se préservera à toute heure des péchés et des vices, soit de la pensée, soit de la langue, des mains, des pieds et de la volonté propre, mais aussi des désirs de la chair. L’homme doit être persuadé que Dieu le considère du haut du ciel à toute heure ; qu’en tout lieu ses actes ont pour témoin le regard de la Divinité, et que les anges en font rapport à tout moment.

C’est ce que le Prophète nous fait entendre par ces paroles, où il nous montre Dieu toujours présent à nos pensées : Dieu scrute les reins et les cœursPs 7, 10 ; et aussi : Le Seigneur connaît les pensées des hommesPs 93, 11 ; et encore : Tu as compris de loin mes penséesPs 138, 3 ; et : La pensée de l’homme te sera découverte.Ps 75, 11 Et pour exercer la vigilance à l’égard de ses pensées perverses, le frère qui veut être utile aux yeux de Dieu dira sans cesse en son cœur : Je serai sans tache devant lui, si je me garde de mon iniquité.Ps 17, 24

Pour ce qui est de la volonté propre, l’Écriture nous défend de la faire lorsqu’elle nous dit : Détourne-toi de tes volontés.Si 18, 30 Et de plus, dans l’Oraison dominicale, nous demandons à Dieu que sa volonté soit faite en nousMt 6, 10. C’est donc avec raison que nous sommes avertis de ne pas faire notre volonté, puisque par là nous évitons le danger que la sainte Écriture nous signale, quand elle dit : Il est des voies qui semblent droites aux hommes, et qui, à la fin, aboutissent au fond de l’enfer.Pr 16, 25 Par là aussi nous nous préservons de ce qui est dit des négligents : Ils se sont corrompus et ils se sont rendus abominables en suivant leurs passions.Ps 13, 1

Quant aux désirs de la chair, croyons que Dieu nous est toujours présent, suivant ce que dit le Prophète au Seigneur : Tous mes désirs sont devant toi.Ps 37, 10 Il faut donc se garder du désir mauvais, parce que la mort est postée à l’entrée même du plaisir ; de là vient que l’Écriture nous donne ce commandement : Ne suis pas tes convoitises.Si 18, 30

Si donc les yeux du Seigneur considèrent les bons et les méchantsPr 15, 3, si, du haut du ciel, le Seigneur regarde constamment les enfants des hommes, afin de voir s’il en est un qui ait l’intelligence et qui cherche DieuPs 13, 2 ; si enfin les anges commis à notre garde rapportent jour et nuit au Seigneur le détail de nos œuvres, il nous faut, mes frères, demeurer à toute heure vigilants. Craignons, comme dit le Prophète dans le psaume, que Dieu ne nous surprenne au moment où — déclinant vers le mal — nous nous rendrions inutilesPs 13, 3. Dès lors, s’il use d’indulgence en ce temps-ci, parce qu’il est bon et qu’il attend que nous changions en mieux, qu’il n’ait à nous dire plus tard : Tu as fait cela, et je me suis tu.Ps 49, 21

Le second degré d’humilité est de ne pas aimer sa volonté propre, et de ne pas se complaire dans l’accomplissement de ses désirs ; mais bien plutôt de conformer sa conduite à cette parole du Seigneur, où il est dit : Je ne suis pas venu faire ma volonté, mais la volonté de celui qui m’a envoyé.Jn 6, 38 L’Écriture dit encore : Le plaisir encourt la peine ; mais la nécessité procure la couronnecette sentence n’est pas tirée de l’Écriture, mais d’Actes de martyrs romains.

Le troisième degré d’humilité est de se soumettre pour l’amour de Dieu en toute obéissance aux supérieurs ; à l’imitation du Seigneur, dont l’Apôtre dit : Il s’est fait obéissant jusqu’à la mort.Ph 2, 8

Le quatrième degré d’humilité est d’embrasser la patience dans l’exercice de cette obéissance, au milieu des difficultés, des contrariétés, et même de toutes sortes d’injustices. Dans le silence de la conscience, on supporte ainsi tout sans se lasser ni reculer, selon ce que dit l’Écriture : Qui aura persévéré jusqu’à la fin, celui-là sera sauvéMt 10, 22 ; et encore : Prends courage, et espère le Seigneur.Ps 26, 14 Et pour nous montrer que le serviteur fidèle doit tout supporter pour le Seigneur, même les plus grandes contrariétés, l’Écriture dit au nom de ceux qui souffrent : C’est pour toi que nous sommes tout le jour livrés à la mort, et traités comme des brebis d’abattoir.Ps 43, 23Rm 8, 36 Sûrs dans leur espérance de la récompense divine, ils ajoutent avec joie ces paroles : Mais en toutes ces épreuves nous remportons la victoire, grâce à celui qui nous a aimés.Rm 8, 37

L’Écriture dit encore à un autre endroit : Tu nous as éprouvés, ô Dieu, et nous as fait passer par le feu comme l’argent qu’on examine dans le creuset ; tu nous as fait tomber dans le filet et as amassé les tribulations sur nos épaules.Ps 65, 10-11 Et pour nous apprendre que nous devons être sous un supérieur, elle ajoute : Tu as imposé des hommes sur nos têtes.Ps 65, 12

Ainsi, par la patience et la pratique du précepte du Seigneur au milieu des adversités et des injures, s’ils sont frappés sur une joue, ils présentent l’autre ; si on leur enlève leur tunique, ils abandonnent aussi leur manteau ; si on les contraint de faire un millec.-à-d. mille pas, ils en font deuxMt 5, 39-41 ; avec l’Apôtre Paul, ils supportent les faux frères2 Co 11, 26, et ils bénissent ceux qui les maudissent1 Co 4, 12.

Le cinquième degré d’humilité est de ne rien cacher à son Abbé, mais de lui avouer humblement toutes les pensées mauvaises qui se présentent à l’âme, et les fautes que l’on aurait commises en secret. L’Écriture nous y exhorte, lorsqu’elle dit : Révèle ta voie au Seigneur et espère en lui.Ps 36, 5 Elle dit encore : Confessez-vous au Seigneur, car il est bon, et sa miséricorde est à jamais.Ps 105, 1Ps 117, 1 Et de même le Prophète : Je t’ai fait connaître mon péché, et je n’ai pas caché mes injustices. J’ai dit : Je déclarerai contre moi mes injustices au Seigneur, et tu as pardonné l’impiété de mon cœur.Ps 31, 5

Le sixième degré d’humilité est qu’un moine trouve son contentement en toute tâche vile et basse, et qu’en tout ce qui lui est confié, il se considère comme un ouvrier mauvais et indigne, se disant avec le Prophète : Je suis réduit à rien et je ne sais rien ; je suis devenu devant toi comme une bête de somme ; mais je suis toujours avec toi.Ps 72, 22-23

Le septième degré d’humilité est non seulement de se proclamer des lèvres le dernier et le plus vil de tous, mais aussi de le croire dans le sentiment intime de son cœur, s’humiliant et disant avec le Prophète : Pour moi, je suis un ver et non un homme ; je suis l’opprobre des hommes et le rebut du peuplePs 21, 7. Après avoir été élevé, j’ai été humilié et couvert de confusion.Ps 87, 16 Et encore : Il m’a été bon que tu m’aies humilié, afin que j’apprenne tes commandements. Ps 118, 71

Le huitième degré d’humilité est lorsqu’un moine ne fait rien que ce qui est ordonné par la Règle commune du monastère et ce que recommandent les exemples des supérieurs.

Le neuvième degré d’humilité est que le moine interdise à sa langue de parler, demeurant en silence, sans rien dire, jusqu’à ce qu’on l’interroge. L’Écriture nous montre en effet qu’en parlant beaucoup on ne saurait éviter le péchéPr 10, 19, et que le bavard ne marchera pas droit sur la terre.Ps 139, 12

Le dixième degré d’humilité est de n’être ni enclin ni prompt à rire, par ce qu’il est écrit : L’insensé élève sa voix quand il rit.Si 21, 20

Le onzième degré d’humilité est que lorsqu’un moine parle, il s’exprime doucement et sans rire, humblement et avec gravité, disant en peu de mots des choses raisonnables, évitant les éclats de voix, selon qu’il est écrit : On reconnaît le sage à la sobriété de son langagesentence du philosophe grec Sextus que Rufin a traduite en l’attribuant à Sixte II, pape et martyr.

Le douzième degré d’humilité est qu’un moine ne possède pas seulement cette humilité dans son cœur, mais qu’il la montre encore constamment par son attitude extérieure. À l’Œuvre de Dieu, à l’oratoire, dans le monastère, au jardin, en chemin, aux champs, et partout où il se trouve — assis, en marche ou debout —, il incline toujours la tête et fixe son regard vers la terre, se sentant à toute heure chargé de ses péchés, comme au moment de comparaître au redoutable jugement de Dieu. Aussi, il répète continuellement dans son cœur ce que disait le publicain de l’Évangile, les yeux fixés à terre : Seigneur, je ne suis pas digne, moi pécheur, de lever les yeux vers le cielLc 18, 13 ; et encore avec le Prophète : Je me tiens courbé et humilié jusqu’au bout.Ps 37, 7.9

Une fois gravis tous ces degrés d’humilité, le moine parviendra bientôt à cet amour de Dieu, qui — parfait — bannit la crainte1 Jn 4, 18, et fait que tout ce qu’il n’observait auparavant qu’avec frayeur, il commence alors à le garder sans peine, comme naturellement et par habitude. Il n’agira plus par crainte de l’enfer, mais par amour du Christ, par l’habitude même du bien et par l’attrait des vertus. Voilà ce que le Seigneur daignera faire paraître dans son ouvrier, purifié de ses vices et de ses péchés par l’Esprit-Saint.

8. Les offices divins durant la nuit

Durant l’hiver, c’est-à-dire depuis le premier novembre jusqu’à Pâques, on se lèvera à la huitième heure de la nuit — comme on le considère raisonnabledans le système romain, les heures variaient en longueur selon la saison ; en hiver, cette huitième heure de la nuit pouvait commencer entre deux et trois heures. Ainsi les frères se seront reposés un peu plus de la moitié de la nuit, et la digestion sera terminée quand ils se lèveront. Ce qui reste de temps après les Vigiles sera employé à l’étude du psautier ou des lectures, par ceux du moins qui en auront besoin.

Depuis Pâques jusqu’au premier novembre, on réglera l’horaire de telle sorte que les Vigiles — après un très court intervalle durant lequel les frères pourront sortir pour les besoins naturels — soient immédiatement suivies des Laudes, qui doivent se célébrer au point du jour.

9. Combien dire de psaumes aux Heures de la nuit

Au temps d’hiver dont il vient d’être parlé, on dira d’abord par trois fois le verset : Seigneur, ouvre mes lèvres et ma bouche annoncera ta louangePs 50, 17 À quoi on ajoutera le psaume troisPs 3 et le GloriaGloire au Père… : formule d’acclamation qui termine le chant ou la récitation d’un psaume. Il sera suivi du psaume nonante-quatrePs 94 avec antienneancêtre du refrain, souvent brève et de préférence chantée, accompagnant un psaume, ou tout au moins chanté d’une façon plus lente. Puis viendra l’hymne et six psaumes avec antiennes. Quand ils seront achevés, et le verset dit, l’Abbé donnera la bénédiction. Et tous assis sur les bancs, les frères liront à tour de rôle dans le livre placé sur le pupitre trois lectures, après chacune desquelles on chantera un répons. Deux de ces répons se diront sans Gloria ; mais après la troisième lecture, celui qui chante dira le Gloria. Au moment où le chantre le commence, tous se lèveront de leurs sièges par honneur et révérence pour la sainte Trinité.

On lira aux Vigiles les livres qui sont d’autorité divine, tant de l’Ancien que du Nouveau Testament, et de plus les exposés qu’en ont faits les plus renommés des Pères orthodoxes et catholiques.

Après ces trois lectures avec leurs répons, suivront six autres psaumes qui seront chantés avec Alléluia. Ensuite viendra une lecture tirée de l’Apôtre, à réciter par cœur, puis le verset et la prière litanique, c’est-à-dire Kyrie eleisonSeigneur, prends pitié : invocation liturgique d’origine grecque. Ainsi se termineront les Vigiles de la nuit.

10. Comment célébrer la louange divine durant les nuits d’été

Depuis Pâques jusqu’au premier novembre, on observera entièrement, pour la psalmodie, la mesure fixée précédemment9. Toutefois, on ne lira pas de lecture dans le livre, à cause de la brièveté des nuits ; mais à la place des trois lectures ordinaires, on en dira seulement une de l’Ancien Testament. Elle sera récitée par cœur, et suivie d’un répons bref. Tout le reste s’accomplira comme il a été dit. On ne chantera jamais moins de douze psaumes aux Vigiles de la nuit, sans compter les psaumes trois et nonante-quatrePs 3Ps 94.

11. Comment célébrer les Vigiles le dimanche

Le dimanche, on se lèvera pour les Vigiles plus tôt qu’à l’ordinaire. Dans ces Vigiles, voici la mesure que l’on observera. Après avoir chanté, comme nous l’avons disposé9, six psaumes et le verset, tous assis avec ordre et à leur rang sur les bancs, on lira dans le livre, de la manière qu’il a été dit, quatre lectures avec leurs répons. C’est seulement au quatrième répons que le chantre dira le Gloria, et dès qu’il le commencera, tous se lèveront aussitôt avec respect.

Après ces lectures, suivront dans l’ordre du psautier six autres psaumes avec leurs antiennes, comme les précédents, puis le verset. On lira ensuite quatre autres lectures avec leurs répons, dans le même ordre que précédemment. Ces lectures seront suivies de trois cantiques tirés des Prophètes, selon que l’Abbé les aura établis. Ces cantiques seront chantés avec Alléluia. Le verset une fois dit, et l’Abbé ayant donné la bénédiction, on lira quatre autres lectures du Nouveau Testament, dans le même ordre.

Après le quatrième répons, l’Abbé entonnera l’hymne Te Deum laudamushymne composée au début du 5e S., devenue très populaire dans l’Église. Celle-ci terminée, l’Abbé lira la lecture de l’Évangile, tandis que tous se tiendront debout avec respect et crainte. À la fin, tous répondront Amen. Et aussitôt, l’Abbé entonnera l’hymne Te decet lauscette courte hymne est d’origine grecque, puis, la bénédiction donnée, on commencera les Laudes.

Cet ordre pour les Vigiles du dimanche sera suivi en toute saison, soit en été, soit en hiver, à moins que — pourvu que non ! — les frères ne se lèvent trop tard, et qu’il ne faille diminuer en quelque chose les lectures ou les répons. Que l’on mette toutefois le plus grand soin pour que ce désordre n’arrive jamais. S’il avait lieu, celui qui l’aura occasionné par sa négligence en donnera une satisfaction convenable à Dieu dans l’oratoire.

12. Comment célébrer l’office solennel des Laudes

Le dimanche, aux Laudes, on dira d’abord sans antienne et d’un trait le psaume soixante-six ; ensuite le cinquante avec Alléluia, puis le cent-dix-sept et le soixante-deux ; ensuite, le cantique des Bénédictionsce cantique est tiré du livre de DanielDn 2, 57-88 et les psaumes de LaudesPs 148Ps 149Ps 150, une lecture de l’Apocalypse par cœur, puis le répons, l’hymne, le verset, le cantique de l’Évangilec’est-à-dire le cantique de ZacharieLc 1, 68-79, la litanie et l’office est achevé.

13. Comment célébrer les Laudes aux jours ordinaires

Les jours ordinaires, l’office des Laudes se fera comme suit. On dira d’abord le psaume soixante-six sans antienne, comme le dimanche et en traînant un peu, afin que tous arrivent pour le psaume cinquante, lequel se dira avec antienne. Après ce psaume, on en dira deux autres, selon l’usage, à savoir : le lundi, le cinquième et le trente-cinquième ; le mardi, le quarante-deuxième et le cinquante-sixième ; le mercredi, le soixante-troisième et le soixante-quatrième ; le jeudi, le quatre-vingt-septième et le quatre-vingt-neuvième ; le vendredi, le nonante-cinquième et le nonante-et-unième ; le samedi, le cent quarante-deuxième avec le cantique du Deutéronome, que l’on divisera en deux Gloria. Les autres jours, on dira un cantique tiré des Prophètes, chacun à son jour, suivant l’ordre de la psalmodie dans l’Église romaine. Viendront ensuite les psaumes de Laudes, puis la lecture de l’Apôtre à réciter par cœur, le répons, l’hymne, le verset, le cantique de l’Évangile, la litanie, et l’office est achevé.

L’office du matin comme celui du soir ne doivent jamais se conclure sans que le supérieur dise, en tout dernier lieu et de manière à être entendu de tous, l’Oraison dominicale, à cause des épines de scandales qui ont coutume de se produire. Qu’ainsi, les frères, d’un commun accord, engagés par les paroles de cette prière : Pardonne-nous, comme nous pardonnonsMt 6, 12, soient à même de se purifier de cette sorte de faute. Aux autres offices, on ne dira à haute voix que la dernière partie de cette Oraison, afin que tous s’unissent pour répondre : Mais délivre-nous du mal.Mt 6, 13

14. Comment célébrer les Vigiles aux fêtes des saints

Aux fêtes des saints et à toutes les solennités, on fera l’office comme le dimanche ; excepté qu’on dira les psaumes, antiennes et lectures propres au jour même. Pour le reste, on gardera la mesure prescrite11.

15. Quand dire l’Alléluia

Depuis la sainte Pâques jusqu’à la Pentecôte, on dira sans interruption l’Alléluia, tant aux psaumes qu’aux répons. Depuis la Pentecôte jusqu’au commencement du Carême, on le dira toutes les nuits aux six derniers psaumes des Nocturnes seulement. Tous les dimanches en dehors du Carême, on dira avec Alléluia les Cantiques, Laudes, Prime, Tierce, Sexte et None, tandis que les Vêpres se chanteront avec antienne. Quant aux répons, ils ne se diront jamais avec Alléluia, si ce n’est de Pâques à la Pentecôte.

16. Comment célébrer les offices divins durant le jour

Le Prophète a dit : Sept fois le jour j’ai chanté tes louanges.Ps 118, 164 Nous remplirons aussi nous-mêmes ce nombre sacré de sept, si aux Laudes, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres et Complies, nous nous acquittons des devoirs de notre service. Car c’est à ces heures du jour que s’applique la parole : J’ai célébré tes louanges sept fois le jour, comme c’est au sujet des Vigiles de la nuit que le même Prophète a dit : Au milieu de la nuit, je me levais pour te louer.Ps 118, 62 Offrons donc à ces Heures-là nos louanges à notre Créateur des jugements de sa justice : c’est-à-dire aux Laudes, Prime, Tierce, Sexte, None, Vêpres, Complies ; et la nuit, levons-nous pour le louer.

17. Combien dire de psaumes à ces mêmes Heures

Nous avons réglé précédemment l’ordre de la psalmodie pour les Vigiles et les Laudes : voyons maintenant ce qui concerne les Heures qui suivent.

À Prime, on dira trois psaumes séparément, et non sous un seul Gloria. L’hymne de cette Heure se dira après le verset Dieu, viens à mon aidePs 69, 2, avant de commencer ces psaumes. Ceux-ci achevés, on récitera une lecture, le verset, Kyrie eleison et le renvoi.

Les offices de Tierce, Sexte et None se célébreront selon le même ordre : à savoir, le verset, l’hymne de ces Heures, trois psaumes, une lecture, un verset, Kyrie eleison, puis le renvoi. Si la communauté est assez nombreuse, les psaumes se diront avec antiennes ; sinon on psalmodiera tout d’un trait.

À la réunion des Vêpres, l’office se composera de quatre psaumes avec antiennes. Après ces psaumes, on récitera une lecture ; puis un répons, l’hymne, le verset, le cantique de l’ÉvangileMagnificat, la litanie et l’Oraison dominicaleNotre Père, qui constituera le renvoi.

À Complies, on récita trois psaumes d’un trait direct et sans antienne. Ensuite, l’hymne de cette Heure, une lecture, le verset, Kyrie eleison ; le renvoi se fera par la bénédiction.

18. Dans quel ordre dire les psaumes

On dira le verset : Dieu, viens à mon aide ; Seigneur, à notre secours !Ps 69, 2, et le Gloria, puis l’hymne de chaque Heureil s’agit des petites Heures du jour.

Ensuite, à Prime, le dimanche, on dira quatre sections du psaume cent dix-huit. À chacune des autres Heures, c’est-à-dire à Tierce, Sexte et None, on dira trois autres sections du même psaume.

À Prime, le lundi, on dira trois psaumes, à savoir : le premier, le deuxième et le sixième ; et de même chaque jour jusqu’au dimanche, on dira trois psaumes par ordre jusqu’au dix-neuvième, de façon cependant que les psaumes neuf et dix-sept soient divisés en deux. Ainsi fait, les Vigiles du dimanche commenceront toujours par le vingtième.

À Tierce, Sexte et None, le lundi, les neuf sections qui restent du psaume cent dix-huit se diront trois par trois à ces mêmes Heures. Le psaume cent dix-huit sera ainsi distribué entre deux jours, à savoir le dimanche et le lundi.

Le mardi, on chantera trois par trois à Tierce, à Sexte et à None, les psaumes allant du cent dix-neuvième jusqu’au cent vingt-septième, c’est-à-dire neuf psaumes. Ces psaumes seront ainsi répétés à ces mêmes Heures jusqu’au dimanche. Pour le reste, on gardera chaque jour l’uniformité dans la disposition que nous avons établie quant aux hymnes, aux lectures et aux versets ; et le dimanche on reprendra toujours au psaume cent dix-huit.

Aux Vêpres, on chantera tous les jours quatre psaumes. Ces psaumes seront pris à partir du cent neuvième jusqu’au cent quarante-septième ; excepté ceux qui sont réservés pour d’autres Heures, à savoir depuis le cent dix-septième jusqu’au cent vingt-septième, plus le cent trente-troisième et le cent quarante-deuxième. Tous les autres se diront aux Vêpres. Et comme il s’en trouve trois de moins dans le nombre susdit, on divisera en deux les plus longs, à savoir : le cent trente-huit, le cent quarante-trois et le cent quarante-quatre. Quant au cent seizième, on le joindra au cent quinzième, à cause de sa brièveté.

L’ordre des psaumes de Vêpres ainsi réglé, le reste — c’est-à-dire les lectures, répons, hymne, verset et cantique — se dira comme nous l’avons indiqué plus haut.

À Complies, on répétera chaque jour les mêmes psaumes, à savoir les psaumes quatre, nonante et cent trente-trois.

L’ordre de la psalmodie pour la journée ainsi réglé, tous les autres psaumes qui restent seront uniformément distribués entre les sept Vigiles de la semaine, afin que les plus longs soient divisés en deux, et qu’il y en ait douze pour chaque nuit.

Nous donnons toutefois cet avertissement que si quelqu’un ne goûte pas cette distribution des psaumes, il demeure libre de les disposer autrement, s’il le juge préférable. Cependant, qu’on fasse en sorte, chaque semaine, de réciter intégralement le Psautier de cent cinquante psaumes, et qu’on le reprenne par le commencement aux Vigiles du dimanche. En effet, des moines qui, durant le cours d’une semaine diraient moins que le Psautier avec les cantiques ordinaires feraient preuve de trop de lâcheté dans le service de leur dévotion. Nos saints Pères, lisons-nous, remplissaient chaque jour vaillamment cette tâche ; puissions-nous, dans notre tiédeur, l’accomplir du moins en une semaine entière !

19. L’attitude durant la psalmodie

Nous croyons que la divine présence est partout, et qu’en tout lieu les yeux du Seigneur considèrent les bons et les méchants. Soyons-en donc plus fermement persuadés lorsque nous assistons à l’office divin. Souvenons-nous sans cesse de ce que dit le Prophète : Servez le Seigneur dans la crainte.Ps 2, 11 Et encore : Psalmodiez avec sagesse.Ps 46, 8 Et : Je te chanterai en présence des anges.Ps 137, 1 Considérons donc comment nous devons nous tenir en présence de sa Divinité et de ses anges, et livrons-nous à la psalmodie de telle manière que notre esprit soit d’accord avec notre voix.

20. La révérence dans la prière

Si, lorsque nous avons une requête à présenter aux puissants de ce monde, nous n’osons le faire qu’avec humilité et respect, combien plus devons-nous offrir nos supplications en toute humilité et avec une pureté pleine de dévotion au Seigneur Dieu de l’univers ! Sachons bien que ce n’est pas en multipliant les paroles que nous serons exaucés, mais par la pureté du cœur et les larmes de la componction. La prière doit donc être brève et pure, à moins que, par une inspiration de la grâce divine, nous ne nous sentions portés à la prolongeril s’agit ici d’une oraison personnelle, distincte de la prière liturgique. Néanmoins, en communauté, la prière sera très courte ; et sur le signal du supérieur, tous se lèveront en même temps.

21. Les doyens du monastère

Si la communauté est nombreuse, on choisira en son sein des frères de bonne réputation et de sainte vie, et on les établira doyens. Ils veilleront en tout sur leurs décaniesun groupe d’une dizaine de moines, conformément aux préceptes de Dieu et aux ordres de leur AbbéAc 6, 3. On choisira pour doyens ceux d’entre eux avec lesquels l’Abbé puisse en toute sûreté partager son fardeau. Ils ne seront pas élus d’après l’ordre d’ancienneté, mais d’après le mérite de leur vie et la sagesse de leur doctrine.

Si, par hasard, l’un de ces doyens mérite répréhension pour s’être enflé d’orgueil, on le réprimandera une première, une seconde et une troisième fois. S’il ne veut pas s’amender, qu’on le destitue, et qu’à sa place on en mette un autre qui en soit digne. Et nous établissons qu’on agisse de même à l’égard du prieur.

22. Comment dormiront les moines

Ils dormiront chacun dans un lit à part. La literie qu’ils recevront sera conforme au caractère de leur profession et aux dispositions prises par leur Abbé. Si faire se peut, ils dormiront tous dans un même lieu ; mais si le trop grand nombre ne le permet pas, ils reposeront par dix ou vingt, avec des anciens qui veilleront sur eux. Une lumière éclairera le dortoir sans interruption jusqu’au matin.

Ils dormiront vêtus, ceints d’une ceinture ou d’une corde ; mais ils n’auront pas alors leurs couteaux au côté, afin de ne pas se blesser en dormant.

Que les moines soient toujours prêts, et qu’au signal donné ils se lèvent sans retard, empressés à se devancer les uns les autres à l’Œuvre de Dieu, mais cependant en toute gravité et modestie.

Les plus jeunes frères n’auront pas leurs lits placés les uns près des autres, mais répartis entre ceux des anciens.

En se levant pour l’Œuvre de Dieu, ils s’encourageront doucement les uns les autres, afin qu’il ne reste pas d’excuse aux dormeurs.

23. L’excommunication pour les fautes

S’il se rencontre un frère opiniâtre, ou désobéissant, ou orgueilleux, qui murmure ou qui contrevienne à quelque point de la sainte Règle et aux ordres de ses anciens, en témoignant pour eux du mépris, ceux-ci l’avertiront en particulier une première et une seconde fois, selon le précepte de notre SeigneurMt 18, 15. S’il ne s’amende pas, qu’il soit réprimandé publiquement devant tous.

Si par ce moyen non plus il ne se corrige pas, qu’il soit soumis à l’excommunication, pourvu toutefois qu’il comprenne la gravité de cette peine. Mais s’il n’y a rien de bon à espérer de lui, qu’on lui inflige une punition corporelle.

24. Quelle doit être la mesure de l’excommunication

La mesure de l’excommunication ou de la punition doit être proportionnée à la gravité de la faute, et cette appréciation des fautes dépendra du jugement de l’Abbé.

Si un frère est coupable de fautes légères, sa peine consistera seulement à être privé de la participation à la table commune. Or, voici comment sera traité qui sera exclu de la participation à la table : à l’oratoire, il n’entonnera ni psaume ni antienne et ne récitera pas de lecture, jusqu’à ce qu’il en ait donné satisfaction. Il prendra son repas seul, après le repas des frères ; si, par exemple, les frères dînent à la sixième heure, il dînera lui à la neuvième ; si les frères prennent leur repas à la neuvième, il prendra le sien le soir, et cela jusqu’à ce qu’il ait obtenu son pardon par une satisfaction convenable.

25. Les fautes graves

Le frère coupable d’une faute grave sera exclu tout à la fois de la table et de l’oratoire. Aucun frère n’aura avec lui ni rapport ni entretien. Il sera seul au travail qui lui aura été assigné, demeurant dans le deuil de la pénitence, et se rappelant cette terrible sentence de l’Apôtre, déclarant qu’un tel homme a été livré à la mort la chair, afin que l’esprit soit sauvé au jour du Seigneur.1 Co 5, 5

Il prendra seul son repas, suivant la mesure et à l’heure que l’Abbé aura jugées convenables. Personne ne le bénira en passant, et la nourriture qu’on lui donne ne sera pas non plus bénie.

26. Ceux qui se joignent sans permission aux excommuniés

Si un frère, sans la permission de l’Abbé, ose se joindre, en quelque manière que ce soit, à un frère excommunié, ou lui parler, ou lui confier quelque chose, il subira la même peine de l’excommunication.

27. Quelle sollicitude l’Abbé doit avoir à l’égard des excommuniés

L’Abbé doit prendre soin en toute sollicitude des frères qui ont failli ; car ce ne sont pas les bien portants qui ont besoin du médecin, mais les maladesMt 9, 12. Il doit donc, comme un sage médecin, user de tous les moyens. Il enverra des Sympectesl’origine du mot senpecta est obscure, mais pourrait dériver d'un terme grec évoquant un compagnon de fortune, c’est-à-dire des frères anciens et sages qui, comme en secret, réconfortent ce frère chancelant et l’engagent à donner une humble satisfaction. Qu’ils l’empêchent, par la consolation qu’ils lui procurent, de se laisser absorber par l’excès de la tristesse ; mais, comme dit l’Apôtre : Il faut que la charité redouble à son égard2 Co 2, 7-8, et que tous prient pour lui.

L’Abbé doit donc user en ses soins de toute sorte d’adresse et d’habileté pour ne perdre aucune des brebis qui lui sont confiées. Qu’il sache qu’il a reçu la charge de conduire des âmes faibles et non d’exercer sur des âmes saines un pouvoir tyrannique. Qu’il redoute la menace du Prophète, par lequel Dieu dit : Vous preniez pour vous les brebis qui vous paraissaient les plus grasses, et celles qui étaient chétives, vous les rejetiez.Ez 34, 3-4 Qu’il imite plutôt l’exemple de tendresse du bon Pasteur qui, laissant sur les montagnes ses nonante-neuf brebis, s’en alla à la recherche d’une seule qui s’était égarée ; et il compatit tellement à sa faiblesse qu’il daigna la charger sur ses épaules sacrées et la rapporter ainsi au troupeauLc 15, 4-5.

28. Ceux qui, malgré des corrections répétées, n’auront pas voulu s’amender

Si un frère a été souvent repris pour une faute quelconque, si l’on a été jusqu’à l’excommunier et qu’il ne se soit pas amendé, il faudra lui infliger une correction plus rude, c’est-à-dire le punir de coups de bâton. Si, par ce moyen, il ne se corrige pas encore, ou si par hasard — pourvu que non ! — il s’enfle d’orgueil jusqu’à vouloir défendre sa conduite, l’Abbé agira alors comme fait un sage médecin : employer les cataplasmes, l’onguent des exhortations, la médication des divines Écritures, et en dernier lieu la brûlure de l’excommunication ou la meurtrissure des coups. S’il voit que toute son habileté est sans résultat, il aura recours à quelque chose de plus efficace, sa prière et celle de tous les frères pour lui, afin que le Seigneur, qui peut tout, rende la santé à ce frère malade. Mais si ce moyen même n’opérait pas la guérison, que l’Abbé use alors du fer qui retranche, suivant la parole de l’Apôtre : Ôtez le mal du milieu de vous.1 Co 5, 13 Et encore : Si l’infidèle s’en va, qu’il s’en aille1 Co 5, 17, de peur qu’une seule brebis malade ne répande la contagion dans le troupeau tout entier.

29. Si l’on doit recevoir de nouveau les frères qui ont quitté le monastère

Si un frère sort par sa propre faute du monastère, et qu’il veuille y rentrer, il promettra d’abord de se corriger entièrement du vice qui a été la cause de sa sortie. Alors, on le recevra au dernier rang, afin d’éprouver par là son humilité. S’il sortait de nouveau, il pourra être reçu jusqu’à trois fois. Après quoi, il saura désormais que toute voie de retour lui est refusée.

30. Comment corriger les jeunes

Chaque âge et chaque degré d’intelligence demandent une règle de conduite particulière. Aussi, lorsque les enfants ou les plus jeunes frères, ou ceux qui sont incapables de comprendre la portée de la peine de l’excommunication, tomberont dans une faute, on leur infligera des jeûnes prolongés, ou on les punira par de rudes coups de bâton, afin qu’ils guérissent.

31. Les qualités que doit avoir le cellérier du monastère

On choisira pour cellérier du monastère quelqu’un qui soit sage, d’un caractère mûr, sobre, ni gourmand, ni hautain, ni turbulent, ni injuste, ni négligent, ni prodigue, mais rempli de la crainte de Dieu, et qui soit comme un père pour toute la communauté.

Qu’il prenne soin de tout. Qu’il ne fasse rien sans l’ordre de l’Abbé. Qu’il observe exactement ce qui est commandé. Qu’il ne contriste pas les frères. Si un frère lui fait une demande déraisonnable, qu’il ne lui fasse pas de peine en le rebutant avec mépris ; mais qu’il refuse avec raison et avec humilité ce qu’on lui demande mal à propos.

Qu’il veille à la garde de son âme, se souvenant toujours de cette parole de l’Apôtre : Celui qui aura bien administré, s’acquiert ainsi un rang élevé.1 Tm 3, 13

Qu’il prenne un soin tout particulier des malades, des enfants, des hôtes et des pauvres, sachant à n’en pas douter qu’au jour du jugement il lui faudra rendre compte de sa conduite envers eux tous.

Qu’il regarde tous les objets et tous les biens du monastère comme les vases sacrés de l’autel. Qu’il ne néglige rien. Qu’il ne soit ni avare, ni prodigue, ni dilapidateur du patrimoine du monastère ; mais qu’il fasse tout avec mesure et conformément aux ordres de l’Abbé.

Avant tout, qu’il ait l’humilité, et s’il ne peut accorder ce qu’on lui demande, qu’il donne du moins en réponse une bonne parole, selon qu’il est écrit : Une bonne parole est encore le meilleur des dons.Si 18, 16

Qu’il prenne soin de tout ce que l’Abbé lui aura confié, et qu’il ne se mêle pas de ce dont il lui aura défendu de s’occuper. Qu’il donne aux frères la portion déterminée sans contrecœur ni résistance, de peur que ceux-ci ne se scandalisent — se souvenant de la punition dont la parole divine menace quiconque aura scandalisé l’un des plus petits.Mt 18, 6

Si la communauté est nombreuse, il recevra des aides ; afin qu’avec leur secours il puisse remplir son office l’âme en paix.

On donnera et on demandera aux heures convenables ce qui doit être donné ou demandé, afin que personne ne soit troublé ni contristé dans la maison de Dieu.

32. Les outils et les objets du monastère

L’Abbé chargera ceux des frères dont la vie et les mœurs lui inspirent confiance de tout ce que le monastère possède en outils, vêtements et autres objets. Il leur en confiera le soin particulier, selon qu’il le jugera utile à leur entretien et à leur conservation. L’Abbé en tiendra un inventaire pour savoir, lorsque les frères se succèdent tour à tour dans ces charges, ce qu’il donne et ce qu’il reçoit.

Si quelqu’un traite avec malpropreté ou négligence les choses appartenant au monastère, il sera réprimandé ; s’il ne s’amende pas, il sera soumis à la discipline régulière.

33. Si les moines doivent avoir quelque chose en propre

Avant tout, il faut retrancher radicalement du monastère ce vice de la propriété. Que personne ne se permette de rien donner ou recevoir sans l’autorisation de l’Abbé, ni d’avoir quoi que ce soit en propre, absolument aucune chose — ni livres, ni tablettes, ni stylet pour écrire ; en un mot, rien du tout — , puisqu’il n’est pas même permis aux moines d’avoir en propre ni leur corps, ni leurs volontés, mais qu’ils doivent attendre du père du monastère tout ce qui leur est nécessaire. Qu’il ne leur soit donc jamais licite d’avoir quelque chose que l’Abbé n’aurait pas donné ou permis.

Que tout soit commun à tous, ainsi qu’il est écritAc 4, 32 ; que personne n’ait la témérité de s’approprier quoi que ce soit, pas même en paroles. Si quelqu’un devait se complaire en ce vice détestable, on l’avertira une première et une seconde fois ; s’il ne s’amende pas, il sera soumis à la correction.

34. Si tous doivent recevoir également le nécessaire

Comme il est écrit : On partageait à chacun selon ses besoins.Ac 4, 35 Nous n’entendons pas dire par là qu’on soit partial envers personne — pourvu que non ! — mais qu’on ait égard aux infirmités. Celui qui a besoin de moins, qu’il rende grâce à Dieu et ne s’attriste pas ; faut-il à un autre davantage, qu’il s’humilie de sa faiblesse et ne s’élève pas de la miséricorde qu’on a pour lui. Ainsi tous les membres seront en paix.

Avant tout, que jamais n’apparaisse le vice du murmure, pour quelque raison que se soit, ni dans le moindre mot, ni dans un signe quelconque. Si quelqu’un y est surpris, qu’il soit soumis à une correction sévère.

35. Les serviteurs de semaine de la cuisine

Les frères se serviront mutuellement. Personne ne sera dispensé du travail de la cuisine, si ce n’est pour cause de maladie ou pour s’occuper d’affaires plus utiles. C’est par cet exercice, en effet, qu’on acquiert plus de mérite et un accroissement de charité. On donnera des aides à ceux qui sont faibles, afin qu’ils n’accomplissent pas cette tâche avec tristesse. Tous auront ainsi des aides, selon que le demandera l’état de la communauté ou la situation du lieu.

Si la communauté est nombreuse, le cellérier sera dispensé de la cuisine, ainsi que ceux qui ont à travailler, comme nous l’avons dit, à des occupations plus importantes ; tous les autres se serviront mutuellement avec charité.

Celui qui sort de semaine fera le samedi le nettoyage. Il lavera les linges avec lesquels les frères s’essuient les mains et les pieds. Il lavera aussi les pieds à tous, aidé de celui qui doit entrer en semaine. Il remettra au cellérier, propres et en bon état, les objets de son service. Le cellérier les confiera à celui qui entre en semaine, afin de savoir ce qu’il donne et ce qu’il reçoit.

Une heure avant le repas, les serviteurs de semaine recevront chacun, en plus de la portion ordinaire, un coup à boire et un morceau de pain ; afin qu’au moment du repas ils puissent servir leurs frères sans murmure et sans trop de fatigue. Mais aux jours des solennités, ils attendront jusqu’après la Messe.

Ceux qui entrent en semaine et ceux qui en sortent se prosterneront aux genoux de tous à l’oratoire, le dimanche aussitôt après les Laudes, et demanderont que l’on prie pour eux. Celui qui sort de semaine dira ce verset : Tu es béni, Seigneur Dieu, toi qui m’aides et me consoles.Dn 3, 52Ps 85, 17 Après l’avoir dit trois fois, il recevra la bénédiction. Celui qui entre en semaine dira ensuite : Dieu, viens me délivrer ; Seigneur, viens vite à mon secours !Ps 69, 2 Et ce verset ayant été aussi répété trois fois par tous, il recevra la bénédiction et entrera en fonction.

36. Les frères malades

Avant tout et par-dessus tout, on prendra soin des malades, et on les servira comme s’ils étaient le Christ en personne ; car c’est lui-même qui a dit : J’ai été malade et vous m’avez visitéMt 25, 36, et encore : Ce que vous avez fait à l’un de ces petits, c’est à moi que vous l’avez fait.Mt 25, 40

Les malades considéreront de leur côté que c’est pour l’honneur de Dieu qu’on les sert, et ils ne mécontenteront pas par des exigences superflues leurs frères qui les servent. Et pourtant, il faudrait les supporter avec patience, parce qu’on en retire une plus large récompense. L’Abbé veillera donc avec le plus grand soin à ce qu’ils n’aient à souffrir d’aucune négligence.

On affectera aux frères malades un logement à part, et pour les servir, un frère craignant Dieu, diligent et soigneux.

On offrira aux malades l’usage des bains toutes les fois qu’il sera expédient ; mais à ceux qui sont en bonne santé, aux jeunes surtout, on l’accordera plus rarement.

On accordera même l’usage de la viande aux malades qui sont tout à fait infirmes, afin qu’ils puissent refaire leurs forces ; mais aussitôt qu’ils seront mieux portants, ils reprendront l’abstinence accoutumée.

L’Abbé veillera avec la plus grande sollicitude à ce que les cellériers et les servants ne négligent pas les malades ; car il est responsable de toutes les fautes dans lesquelles tomberaient ses disciples.

37. Les vieillards et les enfants

Bien que l’homme par nature soit porté à la compassion envers les vieillards et les enfants, l’autorité de la Règle doit néanmoins intervenir en leur faveur. On aura donc toujours égard à leur faiblesse, et on ne les astreindra pas à la rigueur de la Règle pour ce qui est de la nourriture ; mais on usera envers eux d’une tendre condescendance, et ils pourront devancer les heures régulières des repas.

38. Le lecteur de semaine

La lecture ne doit jamais manquer à la table des frères. Il ne faut pas que le premier venu s’empare du livre et le lise; mais un lecteur entrera en fonction le dimanche pour une semaine entière. Après la Messe et la Communion, il commencera par se recommander aux prières de tous, afin que Dieu détourne de lui toute exaltation d’esprit. Et il dira ce verset que tous répéteront trois fois après lui dans l’oratoire : Seigneur, ouvre mes lèvres, et ma bouche annoncera ta louange.Ps 50, 17 Et après avoir ainsi reçu la bénédiction, il entrera en fonction.

Qu’on observe à table un silence absolu et qu’on n’y entende ni chuchotement ni parole, hormis la voix du lecteur. Que les frères se servent mutuellement ce qui est nécessaire en nourriture et boisson ; afin que personne n’ait besoin de rien demander. Si toutefois il leur manque quelque chose, ils le demanderont par un signe quelconque, plutôt que par la parole. Que personne ne se permette de poser alors des questions sur la lecture, ou sur tout autre sujet, afin de ne pas causer de trouble, à moins que le supérieur ne veuille dire quelque chose en peu de mots pour l’édification.

Le frère en charge de la semaine prendra le mixteboisson faite de vin mêlé d'eau, suivant l'usage romain, et servant probablement d’ablution au lecteur avant de commencer la lecture, par respect pour la sainte Communion et afin d’éviter que le jeûne ne lui soit pénible à supporter. Il prendra ensuite son repas avec les serviteurs de semaine de la cuisine.

Les frères ne liront ni ne chanteront à tour de rang, mais ceux-là seulement qui sont capables d’édifier les auditeurs.

39. La mesure de la nourriture

Nous croyons que deux mets cuits doivent suffire à toutes les tables pour le repas quotidien, tant de la sixième que de la neuvième heure, eu égard aux infirmités diverses. Ainsi, celui qui ne pourrait pas manger d’un plat pourra se refaire avec l’autre. Deux mets cuits devront donc suffire aux frères, et s’il y a moyen d’avoir des fruits ou des légumes frais, on les ajoutera en troisième plat.

Une livre de painpeut-être un kilo, sachant que le pain constituait l’essentiel de la nourriture des moines, à bon poids, suffira pour chaque jour, soit qu’on fasse un seul repas, soit qu’il y ait dîner et souper. Si l’on doit souper, le cellérier mettra en réserve un tiers de cette même livre pour y être servi.

Si l’on a un travail plus considérable, il dépendra de la volonté et du pouvoir de l’Abbé d’ajouter quelque chose, au cas où il le juge opportun et en évitant tout excès, afin que le moine ne soit jamais surpris par l’indigestion. Rien n’est aussi contraire à tout chrétien que l’excès de table, selon cette parole de notre Seigneur : Veillez à ce que vos cœurs ne s’appesantissent pas sous l’excès.Luc 21, 34

Quant aux plus jeunes enfants, on ne leur servira pas la même quantité de nourriture, mais une moindre qu’aux plus grands, gardant en tout la modération.

Tous absolument s’abstiendront de la viande des quadrupèdes, excepté les malades très affaiblis.

40. La mesure de la boisson

Chacun a reçu de Dieu son don propre : l’un celui-ci, l’autre celui-là.1 Co 7, 7 Ce n’est donc pas sans quelque scrupule que nous fixons aux autres la mesure de leur aliment. Néanmoins, ayant égard au tempérament de ceux qui sont faibles, nous croyons qu’une hémine de vin suffit à chacun pour la journéeelle équivalait probablement à un quart de litre. Que ceux auxquels Dieu donne la force de s’en abstenir sachent qu’ils en recevront une récompense particulière.

Si la situation du lieu, ou le travail, ou les chaleurs de l’été demandent davantage, le supérieur en décidera ; mais il veillera en tout à ne pas laisser aller jusqu’à la satiété ou à l’ivresse.

Nous lisons, il est vrai, que le vin ne convient aucunement aux moines ; mais comme on ne peut en persuader les moines de notre temps, convenons du moins de n’en pas boire jusqu’à satiété, mais avec modération, car le vin fait apostasier même les sages.Si 19, 2

Si les conditions du lieu ne permettent pas de se procurer cette mesure de vin, mais beaucoup moins, ou même rien du tout, les habitants de l’endroit béniront Dieu et se garderont de murmurer ; car c’est là l’avertissement que nous donnons avant tout, qu’on s’abstienne des murmures.

41. À quelle heure les frères doivent prendre leur repas

Depuis la sainte Pâque jusqu’à la Pentecôte, les frères dîneront à Sexte et souperont le soirla sixième heure, ou heure de Sexte, finit invariablement à midi. Durant tout l’été, à partir de la Pentecôte, ils jeûneront le mercredi et le vendredi jusqu’à None, s’ils n’ont pas de travaux dans les champs, ou si la chaleur excessive de l’été ne les incommode pas. Les autres jours, ils dîneront à Sexte.

Cette heure de Sexte pour le dîner devra être maintenue, si l’on a des travaux à la campagne ou si les chaleurs de l’été sont trop fortes : le soin d’en décider appartiendra à l’Abbé. C’est à lui de régler et disposer toute chose de telle sorte que les âmes se sauvent et que les frères fassent leur tâche sans motif légitime de murmure.

Depuis la mi-septembre jusqu’au commencement du Carême, ils prendront toujours leur repas à None.

Pendant le Carême jusqu’à Pâques, ils mangeront après les Vêpres. On célébrera toutefois ces Vêpres assez tôt pour qu’on n’ait pas besoin d’allumer une lampe pour le repas, mais que tout puisse se terminer encore à la lumière du jour.

Et de même en tout temps, on réglera l’heure soit du souper, soit du dîner, pour que tout se fasse dans la clarté.

42. Que personne ne parle après Complies

Les moines doivent en tout temps s’appliquer au silence, mais principalement durant les heures de la nuit. C’est pourquoi, en toute saison, soit que l’on jeûne, soit que l’on dîne — si c’est une période où il y a un dîner —, aussitôt après le souper, ils iront s’asseoir tous ensemble, et l’un d’eux lira les Conférences ou les Vies des Pèresles Conférences rapportent le séjour en Égypte de Jean Cassien et les Vies sont des biographies célèbres de moines, dues à divers auteurs, ou du moins quelque chose qui puisse édifier les auditeurs. On ne lira toutefois pas l’Heptateuqueles sept premiers livres de la Bible : les cinq livres de la Loi ou Torah, auxquels sont ajoutés les livres de Josué et des Juges, ni le Livre des Rois, parce qu’il ne serait pas bon pour les esprits faibles d’entendre, à cette heure-là, cette partie de l’Écriture. On la lira à d’autres heures.

Si c’est un jour de jeûne, une fois les Vêpres dites, les frères se rendront promptement, après un court intervalle, à la lecture des Conférences, comme nous venons de le dire. On lira quatre ou cinq feuillets, ou autant que le temps le permettra, tandis que tous accourent au rassemblement pendant la durée de cette lecture, y compris celui qui serait encore occupé à la tâche qui lui a été assignée.

Tous ainsi assemblés, on récitera les Complies, et depuis la sortie de cet office, il ne sera plus permis de dire quoi que ce soit à personne. Si quelqu’un enfreint cette règle du silence, il sera soumis à une punition très sévère : excepté en cas de la réception des hôtes ou si l’Abbé à un ordre à donner. Même alors, la chose se devra faire en toute gravité, retenue et bienséance.

43. Ceux qui arrivent en retard à l’Œuvre de Dieu ou à la table

À l’heure de l’office divin, dès le signal entendu, on laissera là tout ce qu’on a en mains, et on accourra en toute hâte, avec gravité néanmoins, afin de ne pas alimenter la dissipation. Que rien donc ne soit préféré à l’Œuvre de Dieu.

Si quelqu’un arrive aux Vigiles nocturnes après le Gloria du psaume nonante-quatre — qui pour ce motif devra se dire sur un rythme très lent et comme en traînant —, il ne prendra pas son rang au chœur, mais se tiendra le dernier de tous, ou à la place à part que l’Abbé aura attribuée aux négligents de cette sorte, afin d’être vu de lui et de toute la communauté. Il y restera jusqu’à ce que, l’Œuvre de Dieu terminée, il fasse pénitence par une satisfaction publique.

Si nous avons jugé bon de les placer ainsi au dernier rang ou à l’écart, c’est afin que la honte qu’ils éprouveront d’être exposés aux regards de tous serve à les corriger. Car s’ils restaient en dehors de l’oratoire, tel irait peut-être se recoucher et dormir, ou s’asseoir dehors et se livrer à des bavardages, offrant une occasion à l’esprit malin. Il vaut donc mieux qu’ils entrent ; ainsi ils ne perdront pas tout, et pourront du reste se corriger.

Aux Heures du jour, celui qui arrivera à l’Œuvre de Dieu après le verset et le Gloria du premier psaume qui suit ce verset, se tiendra à la dernière place, suivant la règle établie. Il ne se permettra pas de se joindre au chœur des frères pour la psalmodie avant d’avoir donné satisfaction, à moins que l’Abbé ne lui en donne la permission, avec son pardon. Même dans ce cas, il devra encore en donner satisfaction.

À la table, celui qui n’arrivera pas avant le verset, de façon que tous le disent ensemble avec la prière et se mettent à table au même moment : si c’est par négligence ou par sa faute qu’il n’est pas arrivé à temps, il sera repris pour cela jusqu’à deux fois. Si par la suite il ne s’amende pas, on ne permettra pas qu’il participe à la table commune, mais séparé de la compagnie de tous, il prendra seul son repas et sera privé de sa portion de vin, jusqu’à ce qu’il ait donné satisfaction et se soit corrigé. On traitera de la même manière celui qui ne sera pas présent au verset que l’on dit après le repas.

Nul ne se permettra de manger ou de boire quoi que ce soit, avant ou après l’heure fixée. Mais si le supérieur offre quelque chose à un frère, et que celui-ci refuse de l’accepter, lorsqu’il en viendra à désirer ce qu’il avait d’abord refusé, on ne le lui accordera pas, ni toute autre chose, jusqu’à ce qu’il ait donné une satisfaction convenable.

44. Ceux qui ont été excommuniés : comment ils doivent satisfaire

Celui qui, pour des fautes graves, aura été excommunié de l’oratoire et de la table se tiendra prosterné devant la porte de l’oratoire, à l’heure où l’on y célébrera l’Œuvre de Dieu. Il ne dira rien, se contentant de demeurer étendu, la face contre terre, aux pieds de tous ceux qui sortent de l’oratoire. Et il continuera de faire ainsi, jusqu’à ce que l’Abbé juge qu’il a satisfait. Alors, sur l’ordre de l’Abbé, il viendra se jeter à ses pieds et à ceux de tous les frères, afin qu’ils prient pour lui.

Et alors, si l’Abbé l’ordonne, il sera reçu au chœur et au rang que l’Abbé aura déterminé. Cependant, il ne pourra, sans un nouvel ordre de l’Abbé, ni entonner les psaumes dans l’oratoire, ni réciter de lecture ou quoi que ce soit. Et à toutes les Heures, au moment où se termine l’Œuvre de Dieu, il se prosternera à terre à la place où il se trouve, et donnera ainsi satisfaction, jusqu’à ce que l’Abbé lui ordonne de cesser désormais cette sorte de satisfaction.

Ceux qui, pour des fautes légères, sont seulement excommuniés de la table, donneront satisfaction dans l’oratoire aussi longtemps que l’Abbé l’aura ordonné. Ils continueront de faire ainsi, jusqu’à ce que l’Abbé leur donne sa bénédiction et leur dise : Cela suffit.

45. Ceux qui se trompent à l’oratoire

Lorsque quelqu’un se trompe dans la récitation d’un psaume, d’un répons, d’une antienne ou d’une lecture, s’il ne s’en humilie pas sur place et devant tout le monde, en donnant satisfaction, il sera soumis à une correction plus sévère ; cela pour n’avoir pas voulu corriger par un acte d’humilité la faute qu’il a commise par sa négligence.

Les enfants, pour ces sortes de fautes, seront frappés de coups de bâton.

46. Ceux qui font des fautes en autre chose

Lorsque quelqu’un, dans un travail à la cuisine, au cellier, dans un atelier, à la boulangerie, au jardin, dans l’exercice d’un métier, en quelque lieu que ce soit, fait une faute, brise ou perd quelque chose, ou commet un délit quelconque, s’il ne vient pas aussitôt de lui-même en donner satisfaction et s’en accuser devant l’Abbé et la communauté, et qu’on vienne à le connaître par un autre, il sera soumis à une correction plus sévère.

Mais s’il s’agit d’un péché secret de l’âme, il s’en ouvrira seulement à l’Abbé ou aux anciens dotés d’esprit, qui savent guérir leurs propres blessures et celles d’autrui sans les découvrir ni les divulguer.

47. Le signal pour indiquer l’heure de l’Œuvre de Dieu

La charge d’annoncer l’heure de l’Œuvre de Dieu, tant de jour que de nuit, incombera à l’Abbéavec les moyens de l’époque, il n’était pas facile de compter les heures, d’autant que leur longueur variait d’un jour à l’autre. Il s’en chargera lui-même, ou la confiera à un frère si ponctuel que tout s’accomplisse aux heures régulières.

Ceux qui en auront reçu l’ordre entonneront, à leur rang après l’Abbé, les psaumes et les antiennes. Personne n’aura la présomption de chanter ou de lire s’il ne peut remplir cette fonction de manière à édifier ceux qui l’écoutent, mais le fera avec humilité, gravité et crainte, et après en avoir reçu l’ordre de l’Abbé.

48. Le travail manuel de chaque jour

L’oisiveté est ennemie de l’âme. Les frères doivent donc consacrer certaines heures au travail des mains et d’autres à la lecture des choses divines. C’est pourquoi nous croyons devoir régler comme il suit ce double partage de la journéereprenant la tradition biblique, la journée est découpée en douze heures de durée variable, de l'aube au crépuscule – où la première heure correspond de nos jours à six heures du matin.

De Pâques à la mi-septembre, les frères sortiront dès le matin pour s’employer aux travaux nécessaires, depuis la première heure jusque vers la quatrième. À partir de la quatrième heure jusque vers la sixième, ils vaqueront à la lecture.

Après la sixième heure, leur dîner fini, ils se reposeront sur leurs lits dans un silence complet. Si quelqu’un veut lire, qu’il lise tout bas de façon à ne pas incommoder les autresles anciens avaient coutume de lire, même en privé, à haute voix. None sera un peu avancée au milieu de la huitième heure ; puis ils retourneront au travail jusqu’aux Vêpres.

Si la nécessité ou la pauvreté exigent que les frères s’occupent eux-mêmes des récoltes, qu’ils ne s’en affligent pas ; car c’est alors qu’ils sont véritablement moines, vivant du travail de leurs mains, comme nos Pères et les Apôtres. Que tout se fasse cependant avec mesure, par égard pour les faibles.

De la mi-septembre au commencement du Carême, ils vaqueront à la lecture jusqu’à la fin de la deuxième heure. La deuxième heure passée, on dira Tierce ; après quoi tous s’occuperont au travail qui leur aura été confié. Au premier coup de None, chacun quittera son ouvrage, et ils se tiendront prêts pour le moment où l’on sonnera le second coup. Après le repas, ils vaqueront à leurs lectures ou à l’étude des psaumes.

Durant le Carême, ils feront leurs lectures depuis le matin jusqu’à la fin de la troisième heure, et ils s’occuperont ensuite au travail qui leur aura été confié, jusqu’à la fin de la dixième heure. En ces jours de Carême, chacun recevra un livre de la bibliothèquece mot bibliotheca indique, au sens premier, qu’il s’agissait d’un livre tiré de la Bible, qu’il lira dans l’ordre et en entier. Ces livres seront distribués au début du Carême.

Qu’on ait soin avant tout de désigner un ou deux anciens, qui circuleront dans le monastère aux heures où les frères vaquent à la lecture, afin de voir s’il ne se rencontre pas par hasard un frère porté à l’ennui qui, au lieu de s’appliquer à la lecture, se livre à l’oisiveté ou au bavardage et qui ainsi, non seulement se nuit à lui-même, mais encore dissipe les autres. Si un frère — pourvu que non ! — est surpris en cette faute, on le reprendra jusqu’à deux fois. S’il ne s’amende pas, qu’on le soumette à la correction régulière, de manière à inspirer de la crainte aux autres.

Un frère ne se joindra pas à un autre frère aux heures indues.

Le dimanche, tous vaqueront à la lecture, excepté ceux qui sont désignés pour les divers services. Si toutefois quelqu’un était si négligent et paresseux qu’il ne voulût ou ne pût ni méditer, ni lire, on lui assignera un ouvrage qu’il puisse faire, afin qu’il ne soit pas oisif.

Quant aux frères infirmes ou délicats, on leur assignera une occupation ou un métier qui les garde de l’oisiveté, sans les accabler ni les porter à s’esquiver. Leur faiblesse devra être prise en considération par l’Abbé.

49. L’observance du Carême

La vie d’un moine devrait être, en tout temps, conforme à l’observance du Carême. Néanmoins, comme cette perfection est le fait d’un petit nombre, nous recommandons aux frères de vivre en toute pureté ces jours du Carême, et d’effacer en ces saints jours toutes les négligences des autres temps. Nous le ferons dignement, si nous nous préservons de toute sorte de vices, si nous nous appliquons à la prière avec larmes, à la lecture, à la componction du cœur et à l’abstinence.

Donc, en ces jours, ajoutons quelque chose à la tâche ordinaire de notre service : oraisons particulières, abstinence de nourriture et de boisson. Ainsi, chacun offrira de sa propre volonté à Dieu, dans la joie du Saint-Esprit, quelque chose au-dessus de la mesure qui lui est prescrite, c’est-à-dire qu’il retranchera à son corps sur la nourriture, la boisson, le sommeil, la conversation et la plaisanterie, et qu’il attendra la sainte Pâque avec la joie du désir spirituel.

Néanmoins, chacun soumettra à son Abbé ce qu’il veut offrir, et n’agira qu’avec sa prière et son agrément ; car ce qui se fait sans la permission du père spirituel sera mis au compte de la présomption et de la vaine gloire, et non du mérite. Que tout se fasse donc avec l’assentiment de l’Abbé.

50. Les frères qui travaillent loin de l’oratoire, ou qui sont en voyage

Les frères qui travaillent au loin et ne peuvent revenir à l’oratoire à l’Heure voulue — l’Abbé l’ayant jugé tel — accompliront l’Œuvre de Dieu sur place et à genoux, avec la crainte due à la Divinité.

De même, ceux qui sont conduits à voyager ne laisseront pas passer les Heures prescrites, mais ils les diront en particulier, comme ils pourront, et ne négligeront pas de s’acquitter du devoir de leur service.

51. Les frères qui vont en des lieux pas très éloignés

Le frère qui sort pour une affaire quelconque et espère rentrer le jour même au monastère ne se permettra pas de manger au dehors, même s’il est invité instamment par qui que ce soit — à moins que l’Abbé ne l’ait peut-être autorisé. S’il agit autrement, qu’il soit excommunié.

52. L’oratoire du monastère

L’oratoire sera ce que signifie son nom. On n’y fera et on n’y déposera rien d’étranger à sa destination. L’Œuvre de Dieu terminée, tous les frères sortiront dans un profond silence, et maintiendront leur révérence envers Dieu ; afin qu’un frère qui veut y prier en particulier n’en soit pas empêché par l’importunité d’autrui.

De même, si à un autre moment quelqu’un veut prier avec plus de recueillement, qu’il entre simplement et qu’il prie, non pas avec des éclats de voix, mais avec larmes et ferveur du cœur. À qui ne se conduit pas ainsi, on ne permettra donc pas de demeurer dans l’oratoire après l’Œuvre de Dieu, comme il a été dit, de peur que d’autres n’en soient importunés.

53. La réception des hôtes

Tous les hôtes qui arrivent seront reçus comme le Christ, car lui-même dira un jour : J’ai demandé l’hospitalité et vous m’avez reçu.Mt 25, 35 À tous on témoignera l’honneur qui leur est dû, surtout aux proches dans la foil’expression domesticis fidei désigne ceux qui font tout particulièrement partie de la maison — domus — de l’Église, par exemple les clercs et les moinesGa 6, 10 et aux pèlerins.

Aussitôt donc qu’un hôte aura été annoncé, le supérieur et les frères se hâteront à sa rencontre avec toutes les marques de la charité. On priera d’abord ensemble, et ensuite on se donnera mutuellement la paix. Ce baiser de paix ne se donnera qu’après la prière, pour se garder de diaboliques illusionsallusion à certains récits rapportés dans les Vies des moines d’Orient.

Dans la manière de saluer, on témoignera à tous les hôtes une profonde humilité : devant ceux qui arriveront ou partiront, on inclinera la tête, ou on se prosternera, le corps par terre, adorant en eux le Christ même qu’on reçoit.

Les hôtes ainsi accueillis seront conduits à la prière : après quoi le supérieur, ou un autre désigné par lui, s’assiéra en leur compagnie. On lira en présence de l’hôte la divine Écriturelit. loi divine pour son édification. Ensuite on le traitera avec toute l’humanité possible.

Le supérieur rompra le jeûne à cause de l’hôte, à moins que ce ne soit un des jours de jeûnes principaux qu’on ne puisse enfreindre. Quant aux frères, ils observeront leurs jeûnes comme de coutume.

L’Abbé versera de l’eau sur les mains des hôtes ; lui même, avec la communauté entière, lavera les pieds à tous les hôtes. Après quoi, ils diront ce verset : Nous recevons, ô Dieu, ta miséricorde au milieu de ton temple.Ps 47, 10

On montrera une sollicitude et un soin tout particulier dans l’accueil des pauvres et des pèlerins, parce que c’est surtout en leurs personnes qu’on reçoit le Christ. Pour les riches, en effet, la crainte qu’ils inspirent porte d’elle-même à les honorer.

La cuisine de l’Abbé et des hôtes sera à part, afin que les frères ne soient pas troublés par les hôtes qui arrivent à des heures incertaines, et ne manquent jamais au monastère.

Chaque année, deux frères capables de bien remplir leur office entreront au service de cette cuisine. On leur donnera, au besoin, des aides afin qu’ils servent sans murmure. Et quand, au contraire, ils n’auront pas assez d’occupation, ils iront à l’ouvrage qu’on leur commandera.

Et cette disposition vaut non seulement pour eux, mais encore pour tous les offices du monastère : quand les frères auront besoin d’aides, on leur en donnera ; et lorsqu’ils manqueront d’occupation, qu’ils obéissent en faisant ce qui leur sera commandé.

Quant au logement des hôtes, on en confiera la charge à un frère dont l’âme soit remplie de la crainte de Dieu. Il y aura des lits garnis en nombre suffisant, et on fera en sorte que la maison de Dieu soit sagement administrée par des gens sages.

On n’abordera pas les hôtes, ni ne leur parlera sans permission. Si on les rencontre ou les aperçoit, on les saluera humblement, comme il a été dit, et après avoir demandé une bénédiction, on passera outre en disant ne pas avoir la permission de s’entretenir avec un hôte.

54. Si un moine peut recevoir des lettres ou autre chose

Il n’est pas permis à un moine, sans l’autorisation de l’Abbé, de recevoir ni de ses parents, ni de qui que ce soit, pas même de ses confrères, des lettres, des donslit. eulogies : aliments bénits, médailles, reliques ou images qu’on s’offrait, surtout après l’Eucharistie, en témoignage de communion à une même foi, ou de petits cadeaux, et pas plus d’en donner.

Si ses parents lui envoient quelque chose, il ne se permettra pas de le recevoir avant que l’Abbé en ait été informé. Si l’Abbé permet qu’on reçoive l’objet, il dépendra de lui de choisir à qui le donner ; et le frère à qui il était envoyé ne s’en attristera pas, de peur de donner prise au diableÉph 4, 271 Tm 5, 14. Celui qui oserait en agir autrement sera soumis à la discipline régulière.

55. Les vêtements et les chaussures des frères

On donnera aux frères des vêtements en rapport avec les conditions et la température des lieux qu’ils habitent, puisqu’il leur en faut d’avantage dans les régions froides et moins dans les pays chauds. L’Abbé doit prendre ceci en considération. Nous estimons toutefois que, dans les endroits tempérés, une coule et une tunique suffisent pour chaque moine, avec un scapulaire pour le travailil s’agit très probablement des même vêtements que portaient les paysans d’alors : la coule était un manteau à large capuchon — cucullus —, la tunique une robe portée communément à Rome et serrée à la taille par une ceinture, tandis que le scapulaire consistait en une longue bande de tissus croisée sur la tunique pour la maintenir près du corps durant le travail manuel. La coule sera velue en l’hiver, légère ou usagée en été. On donnera aussi, pour couvrir les pieds, des sandales et des souliersces sandales, sortes de bas faits d’étoffe assez résistante, enveloppaient les pieds et étaient tenues par des lacets enroulés autour des jambes.

Les moines ne se mettront en peine ni de la couleur ni de la grossièreté de ces divers objetsla couleur noire, distinctive aujourd’hui des moines bénédictins, était considérée à l’époque comme une marque de luxe, mais se contenteront de ce qu’on pourra trouver dans le pays qu’ils habitent, ou se procurer à vil prix.

Quant à la mesure des habits, l’Abbé veillera à ce qu’ils ne soient pas trop courts mais à la taille de chacun. Quand on en recevra de neufs, on rendra toujours en même temps les vieux qui seront déposés au vestiaire pour les pauvres. Il suffit, en effet, à un moine d’avoir deux tuniques et deux coules, pour en changer la nuit et pour les faire laver. Tout ce qui serait en plus est superflu et doit être retranché. Les frères rendront également les chaussures et tout ce qui est usé, lorsqu’ils recevront du neuf.

On donnera du vestiaire des caleçons à ceux qui doivent aller en voyage ; ils les restitueront à leur retour, après les avoir lavés. Les coules et les tuniques seront un peu meilleures que celles qu’ils portent d’habitude. Avant de se mettre en route, ils les recevront du vestiaire et les restitueront au retour.

Comme garniture des lits, il suffira d’une paillasse, d’un draplit. saie : manteau militaire en usage chez les Romains et dont on se servait pour couvrir la paillasse, d’une couverture et d’un oreiller. L’Abbé fera souvent la visite de ces lits, de crainte qu’il ne s’y trouve un objet qu’on se serait approprié. Et celui chez qui l’on découvrirait quelque chose qu’il n’ait reçu de l’Abbé, sera soumis à une très rigoureuse correction.

Et pour que ce vice de la propriété soit coupé jusqu’à la racine, l’Abbé donnera tout ce qui est nécessaire, à savoir : une coule, une tunique, des sandales, des souliers, une ceinture, un couteau, un stylet, une aiguille, un mouchoir, des tablettes — afin d’ôter toute excuse tirée de la nécessitéil n’est pas fait mention d’un rasoir, car les moines anciens considéraient le fait de se couper la barbe comme une injure à l’œuvre du Créateur.

Cependant, l’Abbé doit toujours prendre en considération cette sentence des Actes des Apôtres : On donnait à chacun selon ses besoins.Ac 4, 35 L’Abbé aura donc égard aux besoins des faibles et non à la mauvaise volonté des envieux. Il se souviendra, en toutes ses décisions, que Dieu lui en tiendra compte.

56. La table de l’Abbé

L’Abbé prendra toujours ses repas avec les hôtes et les pèlerins. Lorsque les hôtes seront moins nombreux, il pourra appeler à sa table ceux des frères qu’il voudra. Il laissera néanmoins toujours avec les frères un ou deux anciens, pour le maintien de la discipline.

57. Les artisans du monastère

S’il y a des artisans dans le monastère, ceux-ci exerceront leur métier en toute humilité, si l’Abbé le permet. Si l’un d’eux venait à s’enorgueillir de ce qu’il sait faire, parce qu’il semble procurer un avantage au monastère, on lui retirera l’exercice de son métier et il ne s’en occupera plus, à moins qu’il ne s’humilie et que l’Abbé ne le lui commande .

Si l’on doit vendre des ouvrages de ces artisans, ceux par les mains desquels ces objets doivent passer se garderont bien de commettre aucune fraude. Ils se souviendront toujours d’Ananie et de Saphirece couple, après avoir vendu une propriété pour en faire don à l’Église, décida de conserver — en la dissimulant — une partie de l’argent ; ce qui leur fit perdre la vie en face des ApôtresAc 5, 1-11, de peur que la mort que ceux-ci subirent dans leur corps ne les éprouve dans leur âme, eux et tous ceux qui frauderaient avec les biens du monastère.

On veillera à ce que le mal de l’avarice ne se glisse pas dans les prix. Au contraire, on vendra toujours un peu moins cher que les séculiers, afin qu’en tout Dieu soit glorifié1 P 4, 11.

58. La manière de recevoir les frères

Lorsque quelqu’un se présente pour embrasser la vie religieuse, on ne doit pas facilement lui accorder l’entrée ; mais on fera ce que dit l’Apôtre : Éprouvez les esprits pour voir s’ils sont de Dieu.1 Jn 4, 1 Si un nouveau venu persévère à frapper à la porte, et si après quatre ou cinq jours on reconnaît qu’il est patient à supporter les rebuffades et les difficultés mises à son admission, et qu’il persiste dans sa demande, on consentira à le faire entrer et à le loger quelques jours à l’hôtellerie. Ensuite, il passera au logement des novices, où ceux-ci méditent, mangent et dormentc’est le noviciat : bâtiment ou quartier du monastère dédié à la formation des jeunes moines.

On désignera pour lui un ancien qui soit apte à gagner les âmes et qui le surveillera avec le plus grand soince moine « doté d’esprit » porte communément le nom de maître des novices. Il examinera avec sollicitude s’il cherche vraiment Dieu, s’il est attentif à l’Œuvre de Dieu, à l’obéissance et aux humiliations. On lui fera connaître toutes les choses dures et âpres par lesquelles on va à Dieu.

S’il promet de persévérer dans sa stabilité, après deux mois, on lui lira cette Règle en entierlit. par ordre, puis on lui dira : Voici la loi sous laquelle tu veux combattre. Si tu peux l’observer, entre ; mais si tu ne le peux pas, tu es libre de te retirer. S’il persiste, on le reconduira au noviciat, et l’on continuera de l’éprouver en toute patience.

Au bout de six mois, on lui lira encore la Règle, afin qu’il sache bien à quoi il s’engage. S’il persévère, après quatre autres mois, on lui lira à nouveau cette même Règle. Et si après mûre délibération, il promet de la garder en tous points et d’observer tout ce qui y est commandé, alors il sera reçu dans la communauté ; mais qu’il sache aussi qu’en vertu de la loi portée par la Règle il ne lui sera plus permis de quitter le monastère à partir de ce jour, ni de secouer le joug de cette Règle, qu’après une aussi longue délibération il était à même de refuser ou d’accepter.

Avant d’être reçu, il promettra devant tous, dans l’oratoire, stabilité, vie religieuse et obéissance, en présence de Dieu et de ses Saintsce sont les vœux monastiques : la stabilité se rapporte à une communauté et à un lieu, qui lie pour la vie — sauf cas exceptionnel — un moine à un monastère particulier ; et la vie religieuse désigne une conversion aux mœurs du moine et à son mode de vie particulier ; afin que si un jour il faisait autrement, il serait condamné par Celui dont il se serait joué.

Il fera de cette promesse une charte au nom des Saints dont les reliques sont en ce lieucette demande écrite — ou pétition — est présentée par le moine à la communauté lors d’une cérémonie de profession monastique, et de l’Abbé présent. Il écrira cette charte de sa propre main ; ou s’il est illettré, un autre prié par lui l’écrira. Le novice lui-même la signera, puis il la placera de sa propre main sur l’autel. Lorsqu’il l’y aura déposée, il entonnera aussitôt ce verset : Reçois-moi, Seigneur, selon ta parole, et je vivrai ; et ne me confonds pas dans mon attentePs 118, 116. Toute la communauté répétera trois fois ce verset, en y ajoutant le Gloria. Le frère novice se prosternera ensuite aux pieds de chacun des frères, leur demandant de prier pour lui. À dater de ce jour, on le tiendra pour membre de la communauté.

S’il possède quelques biens, il devra préalablement ou les distribuer aux pauvres, ou les conférer par une donation solennelle au monastère, sans rien se réserver du tout ; car il sait, dès cet instant, ne plus même pouvoir disposer de son propre corps.

On le dépouillera donc immédiatement, dans l’oratoire, des habits personnels dont il était vêtu, et on le revêtira d’habits appartenant au monastèreil n’y avait donc de changement d’habit qu’à la profession ; de là vient que celui-ci fut longtemps considéré comme le symbole même de cet engagement : l’habit fait le moine. Les vêtements qu’il aura quittés seront déposés au vestiaire, pour y être conservés, afin que, si un jour, à l’instigation du diable, il se décidait — pourvu que non ! — à sortir du monastère, on puisse alors lui ôter les habits du monastère, et le chasser. On ne lui rendra pas néanmoins sa charte que l’Abbé a prise jadis sur l’autel, mais on la gardera dans le monastère.

59. Les fils de nobles ou de pauvres qui sont offerts

Lorsque quelqu’un de noble veut offrir son fils à Dieu dans le monastère, si l’enfant est en bas âge, ses parents feront eux-mêmes la demande écrite dont nous avons parlé58. Ils envelopperont cette charte et la main de l’enfant, avec l’oblationl’offrande du pain et du vin faite lors de l’Eucharistie, dans la nappe de l’autel, et ils l’offriront ainsi.

Quant à leurs biens, ils promettront sous serment, dans la charte qu’ils présentent, de ne jamais rien lui en donner, et de ne lui fournir aucun moyen d’y avoir part, ni par eux-mêmes, ni par une personne interposée, ni d’aucune autre manière ; ou bien, s’ils ne veulent pas agir ainsi, et qu’ils veuillent cependant offrir quelque chose en aumône au monastère pour leur mérite, ils en feront don à la communauté, s’en réservant l’usufruit s’il leur plaît. Par ce moyen, on fermera toute issue, si bien qu’il ne restera plus à l’enfant rien à en attendre, ce qui ne servirait — pourvu que non ! — qu’à le tromper et à le perdre, ainsi que nous l’avons appris par expérience.

Ceux qui sont plus pauvres agiront de la même manière. Quant à ceux qui n’ont rien du tout, ils feront simplement leur charte et offriront leur fils, avec l’oblation, en présence de témoins.

60. Les prêtres qui voudraient se fixer dans le monastère

Si un prêtre demande à être reçu dans le monastère, on ne l’acceptera pas trop vite. Toutefois, s’il persiste absolument dans sa demande, il faut qu’il sache qu’il sera tenu à toute la discipline de la Règle, et qu’on n’en relâchera rien en sa faveur, afin qu’on puisse lui dire, comme il est écrit : Mon ami, dans quel dessein es-tu venu ?Mt 26, 50

On lui accordera néanmoins de prendre rang après l’Abbé, de donner les bénédictions et de célébrer la Messe, si toutefois l’Abbé l’y autoriseil y avait alors très peu de moines ordonnés, et l’Abbé lui-même n’était généralement pas prêtre. Sinon, il ne doit se prévaloir de rien, sachant qu’il est soumis à la discipline régulière et qu’il se doit de donner plutôt à tous des exemples d’humilité.

S’il vient à être question dans le monastère de charge à remplir ou d’affaire à traiter, il considérera comme sienne la place que lui a valu son entrée au monastère, et non celle qu’on lui a concédée par respect pour son sacerdoce.

Si un clerc, poussé par le même désir, veut se joindre au monastère, on le placera dans un rang moyen, à condition toutefois qu’il promette, lui aussi, d’observer la Règle et de garder la stabilité.

61. Comment recevoir les moines étrangers

Si un moine étranger, venu de contrées lointaines, se présente au monastère, s’il veut y séjourner comme hôte, et se contente de la vie qu’on y mène, on le recevra aussi longtemps qu’il le désire, pourvu qu’il ne trouble pas le monastère par ses exigences, mais s’accommode simplement de ce qu’il trouve.

Si ce moine trouvait à reprendre ou à remontrer quelque chose avec raison et dans l’humilité de la charité, l’Abbé examinera avec prudence si ce ne serait pas pour cela même que le Seigneur l’a envoyé.

Si, par la suite, il veut fixer sa stabilité, on ne s’opposera pas à son dessein, d’autant plus qu’on a pu se rendre compte de sa manière de vivre durant son séjour à l’hôtellerie.

Mais si, pendant son séjour comme hôte, on s’est aperçu qu’il est exigeant ou vicieux, non seulement on ne devra pas l’adjoindre au corps du monastère ; mais on lui dira honnêtement de se retirer, de peur que sa misère ne fasse du tort aux autres.

Si, au contraire, sa conduite ne lui mérite pas d’être congédié, non seulement, s’il le demande, il faut l’admettre dans la communauté, mais il faut lui conseiller de s’y fixer, afin que les autres soient instruits par son exemple, et parce qu’en tout lieu on sert un seul Seigneur, on combat sous un seul Roi. Si même l’Abbé l’en juge digne, il pourra le placer à un rang un peu plus élevé que celui de son entrée.

Et ce n’est pas seulement à l’égard d’un moine qu’on agira ainsi, mais aussi des prêtres et des clercs dont il a été question60 ; l’Abbé pourra les placer à un rang supérieur à celui de leur entrée, s’il reconnaît que leur vie le mérite.

Mais que l’Abbé se garde bien de recevoir à demeure un moine d’un autre monastère connu, sans le consentement de son Abbé ou sans lettres de recommandation ; car il est écrit : Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse à toi-même.Tb 4, 15Mt 7, 12

62. Les prêtres du monastère

Si l’Abbé désire faire ordonner un prêtre ou un diacre pour son monastère, il choisira parmi les siens quelqu’un qui soit digne des fonctions sacerdotalesSi 45, 15-17. Celui qui aura été ordonné se gardera de l’exaltation et l’orgueil, n’entreprendra rien sans ordre de l’Abbé, se sachant dès lors bien plus assujetti à la discipline régulière. Il ne prendra pas prétexte de son sacerdoce pour oublier l’obéissance à la Règle et sa discipline, mais se bonifiera de plus en plus en Dieu.

Quant au rang, il gardera toujours celui de son entrée au monastère, sauf lorsqu’il officie à l’autel, et si le choix de la communauté et la volonté de l’Abbé lui assignent une place plus élevée, à cause du mérite de sa vie. Même dans ce cas, il saura qu’il lui faut suivre la règle établie pour les doyens et les autres officiers. S’il refusait de s’y soumettre, qu’il soit considéré non comme prêtre, mais comme rebelle. Et si, après avoir été souvent réprimandé, il ne se corrige pas, on aura recours au témoignage de l’évêque. S’il ne s’amende pas encore par ce moyen, ses fautes devenant manifestes, on le chassera du monastère, au cas toutefois où son obstination soit telle qu’il ait refusé de se soumettre et d’obéir à la Règle.

63. Le rang à garder dans la communauté

Les frères garderont leur rang dans le monastère selon la date de leur entrée en religionc.-à-d. le temps de leur conversion monastique, ou selon le mérite de leur vie et la décision de l’Abbé. Celui-ci néanmoins ne troublera pas le troupeau qui lui est confié, ni ne prendra de décision injuste, comme s’il exerçait un pouvoir arbitraire ; mais il songera sans cesse au compte qu’il devra rendre à Dieu de toutes ses décisions et de tous ses actes.

C’est donc selon le rang qu’il aura établi, ou celui qui revient aux frères d’après leur ancienneté, qu’ils iront au baiser de paix et à la communion, entonneront les psaumes et se tiendront au chœur. Nulle part il ne sera tenu compte ou préjudice de l’âge dans l’ordre à garder, car Samuel et Daniel, encore enfants, ont jugé des anciens1 S 3Dn 13.

Donc, à l’exception de ceux que, comme nous l’avons dit, l’Abbé aura promus plus haut pour des motifs supérieurs, ou qu’il aura dégradés pour des raisons fondées, tous les autres tiendront le rang de leur entrée en religion : en sorte que, par exemple, celui qui sera venu au monastère à la seconde heure du jour, quel que soit son âge ou sa dignité, se reconnaîtra puînéc.-à-d. cadet de celui qui est arrivé à la première heure. Quant aux enfants, ils seront gardés dans la discipline en tout et par tous.

Les plus jeunes honoreront donc leurs aînés, et les anciens auront de l’affection pour leurs cadets. En se désignant mutuellement, il ne sera permis à personne d’appeler quelqu’un par son seul nom, mais les anciens donneront aux plus jeunes le nom de Frères, et les plus jeunes à leurs anciens celui de Nonnicette appellation, aujourd’hui désuette, est d’origine égyptienne — terme qui exprime la révérence à un père.

L’Abbé étant regardé comme tenant la place du Christ, on l’appellera Seigneur(lit. Dominus : équivalent du français Monsieur, et attribué aux religieux sous sa forme diminutive Dom et Abbé, non par prétention personnelle, mais par honneur et amour du Christ. Qu’il y réfléchisse donc et se rende digne d’un tel honneur.

Où que les frères se rencontrent, le plus jeune demandera la bénédiction à l’ancien. Si un ancien vient à passer, le plus jeune se lèvera, lui fera place pour s’asseoir, et ne se permettra pas de se rasseoir sans que son ancien ne lui en fasse signe, afin d’accomplir ce qui est écrit : Prévenez-vous d’honneur les uns les autres.Rm 12, 10

Les petits enfants et les adolescents garderont avec ordre et discipline leur rang à l’oratoire et au réfectoire. Mais hors de là et en tout lieu, ils seront surveillés et maintenus dans la discipline, jusqu’à ce qu’ils aient atteint un âge raisonnable.

64. L’institution de l’Abbé

Dans l’institution de l’Abbé, on tiendra pour règle constante d’établir celui qui aura été élu d’un commun accord, selon la crainte de Dieu, par toute la communauté, ou seulement par une partie de la communauté, même faible, mais au jugement plus sain. Pour l’établir, on aura égard au mérite de la vie et à la sagesse de la doctrine, lors même qu’il occuperait le dernier rang dans la communauté.

Si, par malheur, il arrivait que la communauté tout entière élût à l’unanimité une personne complice de ses dérèglements, lorsque ces désordres parviendront à la connaissance de l’évêque au diocèse duquel appartient ce lieu, ou paraîtront clairs aux Abbés et aux chrétiens du voisinage, ils empêcheront l’accord des méchants de prévaloir. Ils pourvoieront eux-mêmes la maison de Dieu d’un intendant vraiment digne, sachant qu’ils en recevront une bonne récompense, s’ils le font avec une intention pure et par zèle de Dieu ; comme au contraire ils commettraient un péché s’ils négligeaient d’intervenir.

L’Abbé, une fois établi, pensera sans cesse au fardeau qu’il a reçu, et à celui auquel il devra rendre compte de son administration. Qu’il sache bien qu’il lui faut plutôt songer à être utile qu’à être le maître. Il doit donc être docte dans la loi divine, afin de savoir où puiser des choses anciennes et des choses nouvelles. Qu’il soit chaste, sobre, miséricordieux ; qu’il fasse toujours prévaloir la miséricorde sur la justice, afin d’obtenir pour lui-même un traitement semblable. Qu’il haïsse les vices, mais qu’il aime les frères.

Dans la correction même, qu’il agisse avec prudence et sans excès, de crainte qu’en voulant trop racler la rouille le vase ne se brise. Qu’il ait constamment devant les yeux sa propre fragilité et qu’il se souvienne qu’il ne faut pas briser le roseau fléchiIs 42, 3. Nous n’entendons pas dire par là qu’il puisse laisser les vices se développer, mais qu’il les retranche avec prudence et charité, et selon qu’il le jugera expédient à l’égard de chacun, ainsi que nous l’avons déjà dit : qu’il s’efforce à se faire aimer plutôt qu’à se faire craindre.

Qu’il ne soit ni turbulent, ni inquiet ; qu’il ne soit ni excessif, ni opiniâtre ; qu’il ne soit ni jaloux, ni trop soupçonneux ; autrement, il n’aura jamais de repos.

Qu’il soit prévoyant et circonspect dans ses commandements ; et, qu’il s’agisse d’œuvrer aux choses de Dieu comme à celles du monde, qu’il use de discernement et de modération, se rappelant la discrétion du saint patriarche Jacob, qui disait : Si je fatigue mes troupeaux en les faisant trop marcher, ils périront tous en un jour.Gn 33, 13

Imitant cet exemple et autres semblables sur la discrétion, cette mère des vertus, qu’il tempère tellement toutes choses que les forts désirent faire davantage et que les faibles ne se dérobent pas.

Et surtout que l’Abbé conserve en tous points la présente Règle, afin qu’après avoir bien administré, il entende du Seigneur la parole adressée au bon serviteur qui avait distribué en temps opportun le froment à ses compagnons : Amen, je vous le déclare, il l’établira sur tous ses biens.Mt 24, 47

65. Le prieur du monastère

Il arrive assez souvent que rétablissement du prieur occasionne de graves scandales dans les monastères. C’est ce qui arrive lorsque quelques-uns, enflés d’un méchant esprit d’orgueil, et s’imaginant être de seconds Abbés, s’arrogent un pouvoir tyrannique, entretiennent des scandales et causent des dissensions dans la communauté. Cela se produit surtout dans ces lieux où le prieur est établi par le même évêque ou par les mêmes Abbés qui ont institué l’Abbé.

On voit aisément combien cela est absurde, puisque, dès le début de son établissement, on lui fournit matière à s’enorgueillir, lui suggérant qu’il est soustrait au pouvoir de son Abbé. Toi aussi, se dira-t-il, tu as été établi par ceux-là mêmes qui ont institué l’Abbé.

De là surgissent des jalousies, des conflits, des détractions, des rivalités, des dissensions, des désordres : car, lorsque l’Abbé et le prieur sont ainsi divisés de sentiment, il est impossible que leurs âmes ne se trouvent pas en péril d’une telle discorde. De même, ceux qui sont sous leur conduite, prenant parti pour l’un ou pour l’autre, vont à leur perte. De ce péril sont responsables au premier chef ceux qui se sont faits les auteurs d’un pareil dérèglement.

C’est pourquoi nous avons constaté qu’il est avantageux, pour conserver la paix et la charité, que l’Abbé soit l’unique arbitre de la façon de gouverner son monastère. Et si faire se peut, comme nous l’avons déjà établi, que tout le service du monastère soit assuré par des doyens, selon que l’Abbé l’aura disposé : la charge étant ainsi partagée entre plusieurs, un seul n’aura pas à s’enorgueillir.

Que si, cependant, le lieu le requiert, ou si la communauté le demande pour de bonnes raisons et avec humilité, et que l’Abbé juge à propos, il choisira qui il voudra après avoir pris conseil des frères craignant Dieu, et l’établira lui-même pour prieur.

Ce prieur néanmoins devra exécuter avec révérence ce qui lui aura été enjoint par son Abbé, sans rien faire qui soit contraire à sa volonté ou à ses ordres. Car, plus il est élevé au-dessus des autres, plus il doit soigneusement observer les préceptes de la Règle.

Que si ce prieur venait à être reconnu vicieux, enflé d’orgueil, ou méprisant envers la sainte Règle, on l’en reprendra jusqu’à quatre fois. S’il ne s’amende pas, on lui fera subir la correction de la discipline régulière. Si par ces moyens il ne se corrigeait pas encore, on le déposera de son rang de prieur et on mettra en sa place un autre qui en soit digne. Que si, par la suite, il ne se montrait pas tranquille et obéissant dans la communauté, on le chasserait du monastère.

Que l’Abbé toutefois songe qu’il doit rendre compte à Dieu de toutes ses décisions, de crainte que la flamme de l’envie ou de la jalousie ne vienne a brûler son âme.

66. Les portiers du monastère

On placera à la porte du monastère un sage vieillard qui sache recevoir et rendre une réponse, et d’une maturité qui le préserve de l’oisiveté.

Le portier doit avoir son logement près de la porte, afin que ceux qui surviennent trouvent toujours quelqu’un pour leur répondre. Et aussitôt qu’on aura frappé ou qu’un pauvre aura appelé, il répondra Deo gratias, ou Benedicite. Puis, avec toute la mansuétude qu’inspire la crainte de Dieu, il répondra en hâte avec toute la ferveur de la charité.

Si le portier a besoin d’aide, on lui adjoindra un frère plus jeune.

Le monastère doit, autant que possible, être disposé de sorte que l’on y trouve tout le nécessaire : de l’eau, un moulin, un jardin et des ateliers pour que l’on puisse y exercer les divers métiers à l’intérieur même de la clôture. De la sorte les moines n’auront aucune nécessité de courir au dehors, ce qui n’est pas du tout avantageux pour leurs âmes.

Nous voulons que cette Règle soit lue souvent en communauté, afin qu’aucun frères ne s’excuse sous prétexte d’ignorance.

67. Les frères que l’on envoie en voyage

Les frères qui doivent aller en voyage se recommanderont à la prière de tous les frères et de l’Abbé. Après la dernière oraison de l’Œuvre de Dieu, on fera toujours mémoire de tous les absents.

À leur retour de voyage et le jour même de leur arrivée, les frères se prosterneront à terre dans l’oratoire à toutes les Heures canoniales, quand s’achève l’Œuvre de Dieu. Ils demanderont la prière de tous, à cause des fautes qu’ils auraient pu commettre en voyage, en voyant quelque chose de mal, ou en entendant de vains discours.

Que personne ne se permette de rapporter à un autre ce qu’il aurait vu ou entendu hors du monastère, car cela produit de grands dégâts. Celui qui oserait le faire sera soumis à la correction régulière. De même celui qui aurait osé sortir de l’enceinte du monastère, ou aller n’importe où, ou faire n’importe quoi, même de peu d’importance, sans l’autorisation de l’Abbé.

68. Si l’on enjoint à un frère des choses impossibles

S’il l’on enjoint à un frère des choses difficiles ou impossibles, il recevra en toute mansuétude et obéissance le commandement qui lui est fait.

Cependant, s’il voit que le poids du fardeau excède tout à fait la mesure de ses forces, il fera connaître avec patience et au moment opportun, à son supérieur, les raisons de son impuissance, ne témoignant ni orgueil, ni résistance, ni contradiction.

Que si, sa suggestion entendue, le supérieur maintient l’ordre commandé, l’inférieur saura que la chose lui est avantageuse, et il obéira dans la charité, confiant que Dieu lui viendra en aide.

69. Que nul dans le monastère ne se permette d’en défendre un autre

Il faut prendre garde que personne dans le monastère ne se permette, en aucune circonstance, de prendre la défense d’un autre moine et de lui servir de protecteur, et cela, quel que soit le lien de parenté qui les unisse. Les moines ne se le permettront d’aucune manière, car il peut en résulter une très grave occasion de scandale. Si quelqu’un transgresse cette défense, on le punira très sévèrement.

70. Que nul ne se permette de frapper à tout propos

Il faut éviter dans le monastère tout sujet de présomption ; pour cela, nous statuons qu’il ne sera permis à personne d’excommunier, ni de frapper l’un de ses frères, à moins qu’il n’en ait reçu pouvoir de l’Abbé.

Ceux qui commettront des fautes seront repris devant tout le monde, afin que les autres en éprouvent de la crainteI Tim 5, 20. Les enfants, jusqu’à l’âge de quinze ans, seront maintenus dans la discipline et sous la garde de tous ; mais cela avec mesure et intelligence. Si quelqu’un se permettait quoi que ce soit, sans l’ordre de l’Abbé, contre ceux qui sont plus âgés, ou de s’emporter contre les enfants sans discrétion, il sera soumis à la discipline régulière ; car il est écrit : Ce que tu ne veux pas qu’on te fasse, ne le fais pas à autrui.Tb 4, 16Mt 7, 12

71. Que les frères s’obéissent mutuellement

Ce n’est pas seulement à l’Abbé que tous doivent rendre le bien de l’obéissance : il faut encore que les frères s’obéissent les uns aux autres, sachant que c’est par cette voie de l’obéissance qu’ils iront à Dieu.

Plaçant avant tout les ordres de l’Abbé et des responsables qu’il a établis — ordres auxquels nous ne permettons pas de préférer ceux des particuliers — tous les jeunes obéiront pour le reste à leurs anciens, en toute charité et empressement.

S’il se rencontre quelqu’un qui ait l’esprit de constestation, il sera châtié.

Lorsqu’un frère est repris par l’Abbé ou par supérieur quelconque, quand ce serait pour une cause même légère, en n’importe quelle manière, s’il s’aperçoit que l’esprit de ce supérieur est irrité contre lui, ou ému même légèrement, aussitôt et sans délai il se prosternera par terre à ses pieds pour faire satisfaction et demeurera ainsi jusqu’à ce que la bénédiction lui ait fait connaître que l’émotion est calmée. Si quelqu’un, par mépris, refuse d’en agir ainsi, il subira une punition corporelle, et s’il demeure opiniâtre, on le chassera du monastère.

72. Le bon zèle que doivent avoir les moines

Comme il y a un zèle mauvais et amer, qui sépare de Dieu et conduit à l’enfer : de même il y a un bon zèle qui sépare des vices, et conduit à Dieu et à la vie éternelle. Les moines s’exerceront donc à ce zèle avec un très fervent amour :

Ils se préviendront d’honneur les uns les autresRm 12, 10 ; se supporteront avec une extrême patience dans leurs infirmités, tant physiques que morales, et s’obéiront à l’envi.

Nul ne recherchera ce qu’il juge lui être utile, mais plutôt ce qui l’est aux autres.

Ils s’accorderont une chaste charité fraternelle ; craindront Dieu avec amour, et aimeront leur Abbé d’une charité humble et sincère.

Ils ne préféreront absolument rien au Christ, lequel daigne nous conduire tous ensemble à la vie éternelle !

73. Toute la pratique de la justice n’est pas contenue dans cette Règle

Nous avons écrit cette Règle, afin qu’en l’observant dans les monastères nous fassions preuve d’une certaine honnêteté de mœurs, ou du moins d’un commencement de vie religieuse. Pour celui qui aspire à la vie parfaite, il y a les enseignements des saints Pères, dont l’observation conduit l’homme au sommet de la perfection. Quelle est en effet la page, quelle est la parole d’autorité divine dans le Premier et le Nouveau Testament, qui ne soit une règle toute droite pour la conduite de notre vie ? Ou encore, quel est le livre des saints Pères catholiques qui ne nous enseigne le droit chemin pour parvenir à notre Créateur ? En outre, les Conférences des Pères, leurs Institutions et leur Viesil s’agit des traités de Jean Cassien, et des vies des Pères du désert, comme aussi la Règle de notre père saint Basile, que sont-elles pour les moines qui vivent et obéissent comme il faut, sinon des instruments de vertus ?

Pour nous autres relâchés, médiocres et négligents, il y a là de quoi rougir de confusion.

Qui que tu sois donc, qui te hâtes vers la patrie céleste, accomplis, avec l’aide du Christ, cette ébauche de Règle écrite pour des débutants. C'est alors aux sommets de doctrine et de vertu évoqués plus haut que, sous la protection de Dieu, tu parviendras. Amen.